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Vue de la plage Vainaho et du Fort Collet, Taiohae, Nuku Hiva. René Gillotin, 1844.

HOMMAGE AU DOCTEUR LOUIS ROLLIN (1887-1972)

Écrit par

HOMMAGE AU DOCTEUR LOUIS ROLLIN,
L’HOMME QUI SAUVA LES MARQUISIENS DE L’EXTINCTION

Le 5 janvier 2022 marque la 50ème anniversaire de la mort du Docteur Louis Rollin, l’homme qui sauva les Marquisiens de l’extinction. Rédigé en 2016, suite à l’attribution de son nom à l’hôpital de Taiohae, cet article de Jacques Iakopo Pelleau brosse un portrait rapide du médecin au grand cœur ; il est affiché, en français et en marquisien, à plusieurs emplacements dans l’hôpital qui porte désormais son nom.

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(Le docteur Louis Rollin dans les années 1930)

Le mardi 18 octobre 2016, à l’occasion de leur visite aux Marquises, quelques membres du gouvernement de la Polynésie française inauguraient la plaque marquant l’entrée de l’hôpital de Taiohae désormais appelé « Hôpital des Marquises Dr. Louis Rollin ».

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hopital taiohae copie        

 (Panneau d’entrée de l’hôpital de Taiohae réalisé par Séverin Kahee Taupotini)

 

Qui était Louis Rollin, et pourquoi donner son nom à cet hôpital ?

Toutes celles et ceux qui, comme moi, ont les Marquises à cœur, connaissent la réponse à cette question, et, après toutes ces années, il est grand temps de rendre à ce médecin humaniste l’hommage qui lui est dû en faisant savoir à tous comment, lors de son séjour aux Marquises, ce médecin s’est acharné à sauver de l’extinction le peuple marquisien dont, depuis des décennies, le monde entier prédisait la disparition prochaine.

I - Les premières années en métropole

Louis Charles Frédéric Rollin est né en 1887 à Paris où il fait toutes ses études de médecine. À la déclaration de guerre en 1914, il a 27 ans et est mobilisé comme médecin de bataillon. Lors des combats, il est blessé mais refuse d’être évacué. Il termine la guerre en qualité d’officier médecin ; sa bravoure et son abnégation seront récompensées de la Croix de Guerre avec cinq citations et de la Croix de Chevalier de la Légion d’Honneur.


II – Vie en Polynésie française


A) - Makatea

C’est en 1920 qu’il débarque à Tahiti comme médecin contractuel de la Compagnie française des Phosphates de l’Océanie pour laquelle il travaille à Makatea pendant trois ans. Puis il s’engage dans le cadre des médecins contractuels des Établissements français d’Océanie, les EFO, où il fera toute sa carrière.


B) – Les îles Marquises

1) - 1923

Pour son premier poste, en juin 1923, il est envoyé aux Îles Marquises par le Gouverneur Rivet qui s’inquiète de la situation du peuple marquisien ; il vient seconder le Résident de Poyen-Bellisle, nommé à Atuona en 1920 et lui-même médecin des troupes coloniales. En plus du poste médical d’Atuona, un second est créé à Taiohae dirigé par le docteur Rollin.

On leur fournit à chacun une chaloupe pontée à moteur (cotre) pour leurs déplacements dans l’archipel. Sur les conseils du docteur Rollin, le premier administrateur civil des Marquises, Monsieur Gautron, obtient la création de la première station TSF (Radio) à Atuona.

Dès son arrivée, il est ému et choqué par la situation sanitaire dans laquelle il trouve le peuple de la Terre des Hommes.

En effet, si les spécialistes estiment à 100 000 ènana/ènata la population totale de l’archipel au moment du contact vers 1800, après cinquante années de présence anglo-américaine, la population était tombée à 20000 en 1842 lorsque les Français prirent possession des Îles Marquises. En 1921, il ne restait plus que 2094 marquisiens dont la communauté internationale prédisait la fin prochaine.

De surcroît, les ènana ne peuvent se nourrir correctement faute de posséder la terre et de pouvoir ainsi la cultiver. En effet, tout au long de la deuxième partie du XIXème siècle, rares sont les gens du peuple qui ont déclaré posséder des terres à l’administration coloniale ; seuls les chefs et leurs descendants, des fonctionnaires ainsi que des personnes aisées ou éduquées, et même des non-marquisiens fortunés, se sont déclarés propriétaires et ont bénéficié de documents officiels. C’est surtout à Nuku Hiva que ce phénomène a eu de graves répercutions sur la santé des habitants puisque, encore de nos jours, 60% des terres sont domaniales ou propriété de l’Église catholique.

Dès le début, Rollin sait que la tuberculose décime les adultes depuis le début du XIXème siècle, mais l’examen des registres de l’État-civil sur plusieurs décennies lui révèle que les nourrissons de 0 à 1 an fournissent le tiers du total des décès. Il s’attaque donc aux causes de la grande mortalité infantile.

En raison des nombreuses épreuves traversées et des vexations imposées par l’État français et l’Église catholique dans le passé, les ènana/ènata ont perdu gout à la vie : ils se laissent mourir et nombreux se suicident. Dans la saleté des habitations, tous vivent sur le sol en terre battue où se mêlent bébés et porcins, personnes en bonne santé et malades de toutes sortes. Son effort porte sur l’hygiène au jour le jour et au début des années trente, il réussit à faire inverser la courbe de mortalité.

2) - 1924

À Atuona, après vingt années de fermeture administrative, le 24 mai 1924 est marqué par la bénédiction et l’ouverture de l’internat des filles, l’École Sainte-Anne, sous la direction des Sœurs de St Joseph de Cluny. Le Docteur Rollin encourage les sœurs à enseigner l’hygiène et le soin des bébés aux jeunes Marquisiennes, les préparant ainsi à un avenir plus sain de femme, d’épouse et de mère.

Cette même année, l’équipage grippé d’une goélette venue chercher du coprah contamine et provoque la mort de soixante quinze personnes dans les îles du sud. Devant l’absence de sanctions, Rollin exige que chaque navire subisse une visite sanitaire avant de faire escale dans l’archipel.

Grâce à des mesures de santé drastiques, l’excédent de décès qui était la norme se transforme en excédent de six naissances dès 1924 (dans le groupe nord).

3) - 1925

En 1925, toujours sur les recommandations du docteur Rollin, le 12 février, près d’Atuona, Mgr Le Cadre inaugure la chapelle Saint-Lazare de la léproserie de Tehutu qui vient d’être créée avec obligation d’y conduire tous les lépreux de l’île. De 230 cas connus en 1895, le nombre des malades est tombé à 66 mais l’administration rencontre des difficultés à les regrouper. Les malades s’enfuient dans la brousse à l’appel des fonctionnaires chargés de les récupérer ; beaucoup restent sans soins. En mars, à Atuona, une infirmerie (avec infirmier résident) est inaugurée.

4) - 1926

En 1926, la reprise de la croissance démographique se fait jour ; le recensement donne 2254 habitants contre 2094 en 1921, soit un gain de 160 habitants en 6 années alors que le solde était toujours négatif depuis des décennies.

5) - 1927

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Le Docteur Louis Rollin à Taiohae en 1927
Fonds Marie-Louise Rollin. Courtesy Jean-Christophe Shigetomi.

En 1927, le 23 juillet, après avoir été déjà interdit au XIXème siècle, un décret interdit définitivement l’usage du kava (piper methysticum) dans l’archipel. Autrefois tapu et réservée aux hommes, la racine aux effets narcotiques est désormais consommée par tous. C’est le docteur Rollin qui est à l’origine de ce décret. Il a compris les effets destructeurs du kava sur le foie et sur la peau, et veut débarrasser les ènana/ènata de ce breuvage qui les plonge dans une torpeur destructrice.

En avril 1929, Louis Rollin cesse ses fonctions de simple médecin et devient Médecin-Administrateur de juin 1929 à août 1930. Il réside à Taiohae et intensifie son action humanitaire. Il fait abolir l’interdiction de divagation des porcs. Maintenus dans des parcs, ils souffraient du manque de soin des ènana qui n’avaient rien pour les nourrir ; relâchés, ils prolifèrent et deviennent une source de nourriture disponible. Il fait aussi lever l’interdiction de tuer les chèvres et met un terme à l’abattage des chevaux sauvages. Il déplore aussi la prolifération des chiens et l’usage du crédit chez les commerçants qui se payent avec les terres des débiteurs endettés. Il réclame aussi une goélette munie de la TSF.

En août 1930, Louis Rollin cesse ses fonctions d'Administrateur-Résident et, en 1931, le recensement annonce le renouveau démographique ; le nombre d’habitants est de 2283 contre 2255 en 1926. Pour la première fois depuis des décennies, le nombre des naissances dépasse celui des décès. Mais cette année là, 40% de la mortalité sont encore dus à la tuberculose.


C - Après les îles Marquises

Après les Marquises, le docteur Rollin officie dans tous les archipels de la Polynésie ; il affectionne particulièrement les maternités et le service des lépreux d’Orofara à Tahiti. Il est nommé médecin hors-classe de l’Assistance médicale indigène (AMI) le 1er juillet 1932.

Quand la deuxième guerre mondiale éclate en septembre 1939, il est dégagé des obligations militaires. C’est en qualité de réserviste qu’il est engagé volontaire et rejoint le premier contingent tahitien ; le 21 avril 1941, il s’embarque avec le Bataillon du Pacifique. À son retour en 1946, il est nommé médecin Commandant Honoraire et sera élevé au grade de Commandeur de la Légion d’Honneur à titre militaire pour ses années de service actif de guerre.

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Le Docteur Louis Rollin serrant la main du Général de Gaulle le 19 août 1942.
Fonds Marie-Louise Rollin. Courtesy Jean-Christophe Shigetomi.

Le docteur Rollin est mis à la retraite en 1947 mais il est engagé pour soigner les prisonniers de droit commun, les aliénés et les vieillards ; il est aussi médecin communal de Papeete. Il garde toujours un œil sur les Marquises et, en 1960, lorsque la bière est mise en vente libre dans l’archipel, il écrit que cette libéralisation ne semble pas aggraver l’alcoolisme ambiant.

Le 6 décembre 1971, au terme de plus de quarante années passées au service de la France et des Polynésiens de tous les archipels, le Gouverneur remet au docteur Rollin la plaque de Grand Officier de l’Ordre National du Mérite.

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Le Docteur Louis Rollin lors de sa remise de décoration le 6 décembre 1971
Fonds Marie-Louise Rollin. Courtesy Jean-Christophe Shigetomi.

Le 5 janvier 1972, un mois après sa décoration, il décède à Tahiti. Il est enterré au cimetière de l’Uranie à Papeete ; sa tombe se trouve au premier étage du cimetière, à droite de la rotonde.

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Entrée principale de l'hôpital Louis Rollin de Taiohae de nos jours

 

TRAVAUX SCIENTIFIQUES ET PUBLICATIONS DU Dr ROLLIN

                                                               livre rollin iles marquises  livre louis rollin                  

1925 - Étude sur les causes du dépeuplement des îles Marquises et sur les remèdes possibles (adressée en février au Médecin-Chef du Service de Santé).

1927 - Envoi d'antiquités marquisiennes et d'objets d'intérêt ethnographique (en 1927, 1929 et 1933) au Musée National d'Ethnographie du Trocadéro, devenu depuis Musée de l'Homme. Ces dons ont contribué, d'après le Professeur Rivet, à faire de ce musée « le plus riche en objets marquisiens du monde entier ». Le nom du Dr Rollin est gravé dans le hall d'entrée du Musée de l'Homme comme celui d'un donateur hors classe.

1928 - Étude sur la formation géologique des îles Marquises (publiée par ordre du Gouverneur des E.F.O. au J.O. de la Colonie, n° 2, 1928).

Envoi d'échantillons minéraux recueillis en personne au cours des tournées professionnelles et adressés au Pr. Lacroix, de l'Académie des Sciences, dont les analyses ont confirmé les hypothèses géologiques formulées par le Dr Rollin (Voy. Compte rendus de l'Académie des Sciences, séance du 18 mai 1931).

1929 - Édition d'un ouvrage sur Les Iles Marquises. Géographie physique et politique, Ethnographie, Histoire. Mise en valeur. Guide archéologique et lexique. Ouvrage épuisé actuellement.

Notice sur Les Iles Marquises publiée par l'Agence générale des Colonies.

1930 - Découverte d'idéogrammes marquisiens identiques à ceux de l'île de Pâques (contrôlée en juillet par le Dr Rivet, Professeur d'Ethnographie au Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris).

  • - Fascicule Iles Marquises dans l'Encyclopédie Maritime et Coloniale.
  • - « Mœurs et coutumes des anciens Maoris des îles Marquises », édition Stepolde, Papeete.

Sources de cet article : HUCK. Docteur Louis Rollin. In: Journal de la Société des océanistes, n°35, tome 28, 1972. pp. 175-176;

 

Rédigé par Jacques Iakopo Pelleau en 2016 – Mis à jour en janvier 2022
Mis en conformité avec la graphie académique marquisienne le
16/09/2022.

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