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Vue de la plage Vainaho et du Fort Collet, Taiohae, Nuku Hiva. René Gillotin, 1844.

LA TRINITÉ DES GRANDS DIEUX ANCESTRAUX MARQUISENS

Écrit par

 

LA TRINITÉ DES DIEUX MARQUISIENS

 

I – PRÉAMBULE

meae de hoata krusenstern 1804 2

Meàe de Kiatonui dans la vallée Meau, Taiohae, Nuku Hiva ; Lisianski 1804

Dès la fin du XVIIIème siècle, les premiers Occidentaux à faire escale aux Marquises ont noté la présence de statues de bois ou de pierre dans les vallées ; généralement, ils étaient frappés par la grossièreté de leurs traits et de leur finition. On tenta de leur faire comprendre que celles qui étaient en bois, souvent les piliers d’habitations à usage rituel, étaient des représentations de divinités tutélaires ; celles taillées dans la pierre rouge « keetū » étaient des effigies d’ancêtres devenus « etua », c’est-à-dire divinisés. De nos jours, on utilise le mot générique de « tiki » pour les désigner. Il existe suffisamment de documents traitant de ce dieu marquisien pour permettre à tout le monde de s’informer à son sujet…

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Meàe de Taiohae, Nuku Hiva – Adèle de Dombasle, 1848
On peut y voir les poteaux-tiki sculptés et se faisant face, ce qui n’était le cas que pour les meàe.

La Panthéon des Dieux marquisiens était aussi peuplé que le monde des humains ; chaque entité vivante ou morte, chaque lieu, chaque évènement était la manifestation de la présence d’une ou plusieurs divinités. On en trouve la liste et les noms dans « La Religion ou le Paganisme des Marquisiens » du Père Siméon Delmas, publié à Paris en 1927. C’est de cet ouvrage majeur que proviennent les informations diffusées dans cet article.

Les ancêtres divinisés mentionnés plus haut sont ceux auxquels on s’adresse le plus facilement en raison de leur familiarité passée avec les vivants. Leur souvenir est encore présent dans nombre de mémoires ; grâce aux offrandes régulière de nourriture et aux sacrifices exécutés en leur nom, ils peuvent intervenir auprès des divinités supérieures, celles qui demeurent dans le ciel éthéré, inaccessible aux humains et dont seuls certains prêtres-tauà ou tuhuka connaissent les noms. Ils sont au nombre de trois.

 

II – LA TRINITÉ DES GRANDS DIEUX MARQUISIENS

Dans de nombreuses cultures et civilisations, en raison de son indivisibilité, le chiffre trois est porteur de signification puissante ; le panthéon marquisien ne fait pas exception.


A) – LEUR NOM

TEUUTOKA ou UUTOKA, TEUUHUA ou UUHUA et TEHITIKAUPEKA ou HITIKAUPEKA.


B) – LEURS CARACTÉRISTIQUES SPÉCIFIQUES

1) - TEUUTOKA/UUTOKA est le premier d’entre eux ; il n’a jamais posé le pied sur terre. Il est servi par la tribu nommée « Atiteuutoka ».

2) - TEUUHUA/UUHUA est descendu une fois sur terre. Il n’a pas aimé ce qu’il a vu et, comme son nom l’indique (hua = rentrer), il est remonté au ciel ; son peuple se nomme « Atiteuuhua ».

3) - TEHITIKAUPEKA/HITIKAUPEKA est le troisième élément de cette trinité ; lui, il n’a pas de tribu à se soucier ; il est aux services des humains. Il aime à se changer en martinet-salangane pour faire la navette entre ciel et terre (hiti = monter). Le nom vernaculaire de cet oiseau des Marquises est « kopeka » ou « kopekapeka » (aerodramus ocistus) ; il est possible alors que le nom de ce dieu ne soit pas Tehitikaupeka mais Tehitikopeka…

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Salangane des Marquises (aerodramus ocistus)

Ce troisième dieu est une sorte d’intermédiaire dont on obtient les faveurs en en faisant invoquer le nom par les épouses de certaines victimes humaines sacrifiées.

Après s’être dénudées, elles s’enduisent le corps de cendre de charbon de bois, dessinant des motifs en forme de croix, semblables à l’oiseau-totem en plein vol. Elles entonnent alors l’incantation « kopeka kāàhuahi », « Salangane-Noir-de-Fumée » et se mettent à danser devant les restes de leur époux, face aux tauà, grands-prêtres sacrificateurs. Tout en les soulageant de leur deuil, cette mélopée réjouit Tehitikopeka qui emporte alors sur ses ailes l’âme du défunt divinisé.

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Sacrifice humain en Polynésie - Auteur et époque inconnus

C’est aussi en raison de sa nature ailée que, lors des funérailles des bardes tuhuka ooko, chantres des généalogies des chefs, on tresse des représentations d’oiseaux en palmes de cocotier. Encouragé par tant de sollicitude, le dieu accueille favorablement l’âme du défunt et la conduit au Ciel-éthéré.


C) – UNE CARACTÉRISTIQUE COMMUNE

Le Père Siméon Delmas écrit : « On les croit blancs, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas tatoués. » (Op. Cit. p. 19)

D’apparence anodine, cette remarque est en réalité capitale car elle nous éclaire sur au moins deux aspects culturels majeurs.

1) – Pourquoi les trois dieux ne sont-ils pas tatoués ?

Si l’on considère que le tatouage trouve son origine dans un besoin de protection contre le monde extérieur, il est logique que les trois dieux les plus élevés, donc les plus puissants, n’aient pas besoin de tatouage car personne n’a assez de pouvoir pour les menacer.

2) – Est-il possible que la blancheur de la peau de ces trois dieux soit à l’origine du respect porté aux premiers visiteurs « blancs » des Marquises ?

Personnellement, je pense que c’est le cas. Les Marquisiens de 1800 connaissaient probablement mieux leur religion que ceux des décennies suivantes ; leurs chefs-hakāìki et les prêtres-tauà savaient que ces trois dieux étaient blancs parce que non-tatoués.

Quand le Pasteur William Pascoe Crook en 1797, ou Edward Robarts en 1798, touchèrent terre à Tahuata, les chefs les qualifièrent de « etua-dieu » et se les arrachèrent littéralement. En raison de sa morale, Crook ne put en bénéficier totalement mais Robarts ne cessait d’être invité de vallée en vallée. À chacune de ses arrivées chez un chef, il échangeait son nom avec lui ou avec un membre proche de sa famille ; on le nourrissait de porc rôti, et les jeunes filles de la vallée le distrayaient chaque soir à sa convenance… Persuadé par son absence de tatouage que Robarts faisait partie de la caste des dieux, les chefs en l’invitant, pensaient participer quelque peu à sa divinité ; leur prestige s’en trouvait rehaussé.

 

III – ET MAINTENANT… ?

Avec le temps, on pourrait croire oubliées ces divinités d’un autre temps. Pourtant, il n’en n’est rien pour les Marquisiens d’aujourd’hui qui maintiennent ardente la flamme de leur culture ancestrale.

Le dernier « Matavaa o te Henua ènana » s’est tenu à Ùapou fin décembre 2019. Pour le présenter au public, un clip a été tourné. On y voit et on y entend, entre autres, une incantation de ces trois divinités, écrite par Georges Toti Teikiehuupoko, directeur de l’Académie marquisienne et déclamée par Pascal Pati, grand animateur culturel.

 

A) – Cliquer ici pour visionner le clip-vidéo sous-titré en français. Grâce à l'affichage flottant, vous pouvez regarder aussi la vidéo en suivant le texte et sa traduction...

 

B) – Texte et traduction du « Tapatapa no te Aoatakuà » (Ode à l’Environnement) ; texte marquisien et français de Georges Toti Teikiehuupoko.


Eīa te pō !

La nuit tombe.

Ua moe te tau kuhane o te tau tupuna.

L’âme des ancêtres sommeille.

Hatikaò te òumati i Havaiki.

Le soleil s’enfonce vers Havaiki.

Uhi mai te kuhane o te tai hou.

L’âme de la jeunesse prend place.

Mave mai e te tau ètua nui o te àki.

Bienvenue à vous, dieux des cieux.

O UUTOKA, o UUHUA, o HITIKAUPEKA !

Ô Uutoka, ô Uuhua, ô Hitikaupeka !

A nuku mai, nuku mai e te tau ètua tini

o te tai me te èpo henua !

Réunissez-vous dieux des océans, diieux des terres !

A hakatau mai kōtou, e nā tiketike nui !

Enseignez-nous, dieux tutélaires !

No te uhi, ia hakako i te pakaihi atu, pakaihi mai,

Apprenez-nous le sens du respect,

Āpuu atu, āpuu mai, toko atu, toko mai,

De la protection et de la solidarité,

I te ati kerara no te aoatakuà

O te hue no to tātou henua,

À toutes les tribus,

la préservation de l’environnement de notre planète Terre,

I vaiìa mai e te tau tupu tupuna

Me te tau tumu tumukee no te ati kōtoa

O te ati kerara !

Que les aïeux et les anciens de toutes les tribus de nos îles nous ont légués !

No Ua Pou o Pakohe !

Ô Pakohe de Ua Pou !

O Tapuoho no Hiva Oa !

Ô Tapuoho de Hiva Oa !

O Mohuta no Nuku Hiva !

Ô Mohuta de Nuku Hiva !

O Mahitoka no Fatu Iva !

Ô Mahitoka de Fatu Iva !

O Kokioho no Ua Huna !

Ô Kokioho de Ua Huna !

O Motu-Oa no Moho Tani !

Ô Motu-Oa de Moho Tani !

O Tupaihakaana no Eiao !

Ô Tupaihakaana de Eiao !

O Toheto no Tahuata !

Ô Toheto de Tahuata !

O âtou te i hakataetae i te èpo henua

me te āpuu puupuuhatu atu.

Ils ont été les précurseurs de l’attention apportée à la Terre et à sa préservation.

Pēhea ta te tama ènana i te tai hou nei ?

Qu’en est-il de la nouvelle génération ?

Me te āpuu puupuuhatu atu

hakauhi io he koekoe o te tau tama e pī nei i te haatumu !

Que cela soit ancré dans les entrailles des jeunes d’aujourd’hui !

Hakauhi i òto o âtou te hātika tekao o te pakaihi me te āpuu !

Que soient enracinées les notions de respect et de protection !

No te hakataetae i te haatumu,

Afin d’enrichir le socle de leurs connaissances,

Ia mau te tekao a te tau tupuna !

Que les enseignements des sages soient acquis !

Ia ao mai te tau ètua tini !

Que tous les dieux acceptent !

Mave mai te tai hou !

Bienvenue à la génération montante !

Oho te ii !

Soyez courageux !

Tanaoa e Etua Kaki e… HUIA… !!!

 

BIBLIOGRAPHIE

*- Crook, William Pascoe - « Récit aux îles Marquises, 1797-1799 » ; traduit de l’anglais par Mgr Hervé Le Cléac’h, Denise Koenig, Gilles Cordonnier, Marie-Thérèse Jacquier et Deborah Pope - Éditions Haere Pō - Tahiti - 2007

*- Delmas, Père Siméon - « La Religion ou le Paganisme des Marquisiens » - Éditions Beauchesne - Paris - 1927

*- Robarts, Edward - « Journal Marquisien, 1798-1806 » ; traduit de l'anglais par Jacques Iakopo Pelleau - Éditions Haere Pō - Tahiti -  2018

 

Rédigé par Jacques Iakopo Pelleau le 18/05/2020

Mis en conformité avec la graphie académique marquisienne le 25/08/2022.

 

 

 

Informations supplémentaires

  • VideoCenter: Non

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