Afin de répondre à l’attente de certains français métropolitains résidant à Ua Pou, désireux de s’initier à la langue des Îles Marquises, le èo ènana, Chrétienne Ohotoua et Jacques Pelleau, deux enseignants du collège de Ua Pou de 1995 à 2001, se sont, dans ce manuel, largement inspirés de l’ouvrage du Père François Zewen : « Introduction à la Langue des Îles Marquises – Le Parler de Nuku Hiva » (Éditions Haere Pō - 1987). Ils se sont concentrés sur les points les plus importants permettant d’acquérir les bases nécessaires aux conversations de tous les jours.
Ce recueil est donc un manuel inspiré d’un ouvrage de référence pouvant encourager les étrangers à s’initier au èo ènana. Leurs remerciements vont aussi à M. Alain Bera, principal du collège de Ua Pou et à M. Christian Aubert, gestionnaire du collège, pour leur précieuse collaboration.
Que le Père Zewen soit remercié pour l’inspiration qu’il donne à ceux qui entreprennent d’apprendre le èo ènana. Koùtaù nui ia òe, ē te Mihi Zewen. A oho te ìi tātou !
Chrétienne OHOTOUA et Jacques PELLEAU (Ua Pou, décembre 2000)
PS : En 2013, au moment de la deuxième correction à destination du public de Nuku Hiva, c'est la graphie prônée par l’Académie Marquisienne qui a été choisie ; les particularités dialectales de Ua Pou ont été supprimées. Ce cours-ci a été tout spécialement retouché en avril 2015 afin de s’adapter au public d’internet.
N.B. : Il est conseillé aux utilisateurs de se procurer :
*« Le Lexique Marquisien-Français » - Mgr.Hervé Le Cleac’h - Association Èo Ènana – Papeete 1997.
*« Grammaire et Dictionnaire de la Langue des Îles Marquises-1904 » Mgr. I.R. Dordillon – Société des Études Océaniennes – Tahiti 1999.
*« Mou Pona Tekao » - Académie Marquisienne – 2006
I - BREF RAPPEL HISTORIQUE
A – LES MIGRATIONS ET LE PEUPLEMENT DU PACIFIQUE
Si le peuplement de la Mélanésie a débuté il y a environ 50.000 ans, ce sont Madagascar et la Polynésie orientale qui ont connu l’aboutissement de l’ultime vague de migration, maritime de surcroît, depuis le début de l’histoire de l’humanité, et le départ d’Afrique des premiers « homo sapiens », il y a environ 200.000 ans.
Commencée au sud de la Chine et à Taiwan entre 15.000 et 10.000 ans avant Jésus Christ, cette migration s’est poursuivie vers l’ouest par l’Indonésie jusqu’à Madagascar il y a 2000 ans, et vers l’est par les Philippines, la Papouasie/Nouvelle-Guinée, les Îles Salomon, Wallis & Futuna, Samoa et Tonga pour atteindre les Marquises au cours du premier millénaire après Jésus-Christ, selon les estimations les plus récentes.
De là, cette migration s’est prolongée au reste de la Polynésie française actuelle pour prendre fin avec l’arrivée des colons polynésiens en Nouvelle Zélande (Aotearoa), à l’Île de Pâques (Rapa nui) et à Hawaii (Hawai’i).
B – LA TERRE ET LA LANGUE
Si, d’après diverses légendes de la région pacifique, c’est Maui qui a « pêché » les îles du fond de l’océan, selon un autre récit, la création des Îles Marquises reviendrait à Atea qui, réunissant ses pouvoirs magiques, les fit émerger en une nuit et leur attribua le nom, toujours en usage, d’une des parties de la maison traditionnelle marquisienne.
Visitées pour la première fois en 1595 par l’espagnol Mendaña, qui les nomma « îles Marquises de Mendoça », c’est le passage de Cook à Tahuata en 1774 qui a marqué l’ouverture des Îles Marquises au monde extérieur.
Le nom marquisien des Îles Marquises est « Te Henua ènana » au nord-ouest, et « Te Fenua ènata » au sud-est ; ce qui signifie, « Terre/Pays des ènana/ènata », nom que se donnent les marquisiens. On le traduit par « La Terre des Hommes ».
La langue des Îles Marquises se nomme « èo ènana/ènata », littéralement « La langue de l’Homme ». Elle est parlée par 30.000 personnes environ dont 10.000 résident aux Îles Marquises. Elle se décompose en deux grandes variantes : le parler du nord-ouest (Nuku Hiva, Ua Huna et Ua Pou) et le parler du sud-est (Hiva Oa, Tahuata et Fatu Iva).
À l’intérieur de ces groupes, il existe des sous-groupes correspondant aux îles ou aux vallées elles-mêmes, où l’on rencontre des variantes lexicales, syntaxiques et/ou orthographiques qui en sont spécifiques ; la plus flagrante étant Ua Pou où le « k » se rencontre là où il a disparu dans les autres îles, et où l’on dit « haka, koe, kotou » là où « haa, òe, ôtou » se disent partout ailleurs.
La langue marquisienne est un rameau oriental des langues polynésiennes, groupe océanien, famille austronésienne (= des îles du sud) qui s’étend de Madagascar à l’ouest, à l’Île de Pâques à l’est.
II - PRONONCIATION & GRAPHIE DE LA LANGUE
La graphie diffère du nord au sud (comme dans le cas du h et du k qui deviennent respectivement f et n); on n’utilise ici que la graphie du nord.
A – INTRODUCTION
Jusqu’en janvier 2000, date de la création de l’Académie Marquisienne, « Te Haè Tuhuka Èo ènana/Te Faè Tuhuna Èo ènata », les textes écrits en marquisien suivaient la graphie de la langue tahitienne et des autres langues de la région Pacifique, ce qui en facilitait l’apprentissage, toutes les accentuations étant visibles. Il s’agissait principalement des textes sacrés et liturgiques de l’Église catholique, rédigés dans la langue du sud-est depuis 1888, date du déplacement par Mgr Martin du siège du Vicariat apostolique à Hiva Oa. À partir de 1970, Mgr Hervé-Marie Le Cléac’h s’est attaché à les réunir, les améliorer et les introduire définitivement dans la liturgie.
Depuis l’an 2000, les productions de l’Académie suivent la graphie préconisée par le linguiste Turo a Raapoto qui simplifie et clarifie l’accès à la langue mais complique le travail des « apprenants » étrangers, les signes diacritiques (accents et autres) n’étant plus tous visibles. Cette dernière graphie utilise trois marqueurs de prononciation qui seront étudiés p. 3 avec les voyelles, car ils n’influent que sur ces dernières.
B – INTONATION
Intonation et accentuation consistent en la manière dont les mots et les phrases sont accentués et modulés ; il s’agit ici d’une présentation succincte des règles d’accentuation qui connaissent par ailleurs de nombreuses variantes.
Contrairement au français qui fait généralement porter l'intonation sur la dernière syllabe, sauf si celle-ci est muette, le marquisien, à l’instar des langues latines, allonge naturellement l’avant-dernière syllabe (sauf si un marqueur vient modifier la prononciation du mot).
Afin de faciliter la prononciation des mots marquisiens, la ou les syllabes longues sont soulignées.
Ex : te tama >> [tama], l’enfant ; àutī [àutī], la feuille de cordyline.
C– LES TROIS MARQUEURS DE PRONONCIATION
Ce sont des signes diacritiques qui viennent modifier le son initial des voyelles.
1) - L’occlusive glottale [‘] (encore appelée glottale).
Elle est matérialisée par un accent grave appliqué à la voyelle (>>à, è, ì, ò, ù) et se nomme tūkina èo, ce qui signifie que le son est « heurté » par un coup de glotte. Ce signe indique l’emplacement d’un son, présent dans les langues protopolynésiennes, qui a disparu. Il s’agissait principalement des sons [k], [l], [ng], [r].
Ex : Kakore, qui a produit : àòè/aòè, non/ne...pas ; lima/rima, qui ont donné : ìma, main/cinq ; langi/rangi [Reo tahiti : ra’i], qui ont produit : àki/àni, le ciel.
L’occlusion glottale est donc un son à part entière qui vient heurter la voyelle pour en durcir la prononciation ; en phonétique, il est représenté par le signe [?]. Le marqueur est omis lorsque deux voyelles identiques se suivent ; l’exemple le plus connu étant haka>>haa : haatopa/faire tomber ; haapī/remplir ; haamee/se moquer de. On doit cependant le signaler en présence du suffixe passif -ìa >>kokotiìa/coupé, et en présence d’une troisième voyelle identique : taaàu/crier. Quand un mot est composé des deux mêmes voyelles portant ce signe, l’accent n'apparait que sur la première >> te ìi/la force.
2) - Le macron [-]
Il est matérialisé par une barre faisant la longueur de la voyelle sur laquelle il est appliqué, et qui a pour bût d’en allonger le son (ā, ē, ī, ō, ū) ; il se nomme haatoko. L’allongement se déplace alors vers la voyelle marquée du macron, si c’est la dernière (hakatū), mais l’avant-dernière garde sa valeur, et est allongée comme celle marquée du macron : (pāpua).
Ex : maka/branche >> makā/grand, gros ; hakatu/marque, signe >> hakatū/ériger ; pāpua/protéger ; enclos.
3) - L’accent circonflexe [^].
C’est une combinaison des deux signes précédents qui, appliquée à la voyelle, a pour bût, à la fois de la heurter et de l’allonger (â, ê, î, ô, û) ; il se nomme uhiuhi. Tout comme dans le cas du macron, l’accent se déplace vers la voyelle longue si c’est la dernière (keâ), mais l’avant-dernière garde sa valeur, et est allongée comme celle marquée de l'accent circonflexe : (âkau).
Ex : te â/le jour ; te keâ/la pierre ; âua/eux deux ; ôtou/vous tous ; moû/paix, paisible ; te âkau/le bois.
D – LES VOYELLES
Il n’y a pas de « y » ni de son [è/ê]. Quand elles sont seules, elles se prononcent pratiquement comme en français ; elles peuvent être courtes, longues ou accentuées ; dans les deux derniers cas, elles sont marquées d’un signe parmi les trois signalés ci-avant.
1) – le « a » : il est un peu plus ouvert et grave qu’en français ; plus prêt du « a » de « pâte » que du « a » de « patte » ; s'il est surmonté d'un macron, il est long.
Ex : kata/rire ; te àma/la lumière ; te tapa ; Taipivai ; makā/grand, gros.
2) – le « e » qui se prononce toujours [é] ; surmonté d'un macron, il est long.
Ex : tēnei/ceci ; te kuee/l’anguille ; te èpo/sale ; la terre.
3) – le « i » qui se prononce toujours [i] ; s'il est surmonté d'un macron, il est long.
Ex : Tuìtuì ! /silence ! ; peni/peindre ; peinture ; te èhi/le coco ; e hitu/sept ; te petī/le mérou.
4) – le « o » qui est toujours ouvert et grave--> [ô] ; s'il est surmonté d'un macron, il est long.
Ex : te òumati/le soleil ; te kōèhi/le lait de coco ; te one/le sable ; te pōpō/le ballon.
5) – le « u » qui se prononce toujours [u] ; s'il est surmonté d'un macron, il est long.
Ex : tapu ; te umu/le four ; te puu/la cordelette de coco tressée ; kaiū/petit.
E – LES CONSONNES
Sont absentes de la langue marquisienne les consonnes [b, c, d, g, j, l, q, s, w, x, z] et le son [ch]. Les autres se prononcent comme en français standard sauf :
- § - [k, p, t], qui sont un peu plus (ex)plosives-->patapata/tacheté.
- § - le [r], très présent en protopolynésien (et en tahitien), a disparu de nombreux mots pour laisser la place à l’occlusion glottale (dans son journal daté de 1799, le Pasteur Crook note l'absence de « r » dans la parler de Nuku Hiva). Néanmoins, il subsiste encore, surtout dans les mots créés depuis l’arrivée des Européens ; il est plus ou moins fortement roulé.
Ex : te ruu : sorte de chant ; rurī/lundi ; mātiri/mariage ; hararā/splendide ; te karahi/le verre ; te karaihi/le riz.
- § - le [h] qui est expiré, un peu comme en anglais ou en allemand.
Ex : haka/danse, baie ; te haahoà/l’ananas ; te pakahio, te paahio/la vieille femme ; tahe/couler ; Nuku Hiva.
En résumé
1) - en l'absence de marqueur, dans les mots de deux, trois syllabes ou plus, l’avant-dernière syllabe est toujours longue ; dans les mots composés, l’allongement original se déplace vers l’avant-dernière syllabe.
2)- en présence d'un ou deux marqueurs, l'avant-dernière syllabe reste longue, SAUF si un macron ou un accent circonflexe est appliqué sur la dernière syllabe qui porte alors toute l'accentuation du mot.
Cliquer sur ce lien pour consulter l'article de l'Académie marquisienne dédié à la graphie liée...
Mis en conformité avec la graphie académique marquisienne le 20/08/2022.