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Vue de la plage Vainaho et du Fort Collet, Taiohae, Nuku Hiva. René Gillotin, 1844.

Artisan, artisane, artisanat ; art, artiste, artistique

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L’artisanat marquisien est réputé dans le monde entier depuis plus de deux siècles. Les objets conservés dans les musées sont le témoignage émouvant d’une culture et d’un savoir-faire que de nombreux artisans de notre temps ont repris à leur compte. Comment traduire cette notion d'art en marquisien ?


I - Autrefois...

Les objets anciens avaient un usage qui a disparu avec le temps. Vers 1850 déjà, on ne sculptait plus beaucoup de ùu ni de lances-taa, on troquait des fusils-puhi ; on ne cuisait plus beaucoup le parfum de curcuma cuit au four, èka moa, on troquait des parfums venus d’occident ; on ne battait plus le tapa, on troquait du calicot.

Utilitaires, religieux ou profanes, les objets du quotidien ont laissé la place aux produits manufacturés, et beaucoup d’armes traditionnelles, de sculptures et de parures se sont muées en monnaie d’échange ou en souvenirs touristiques.

De même, certains mots relatifs à ces activités ont disparu, tandis que d’autres perdurent.

II - Les artisan(e)s

Tout le monde connait le mot tuhuka/tuhuna qui s’appliquait aux « maîtres » tatoueurs, sculpteurs, cordiers et même à certains prêtres, tels les tuhuka òoko/tuhuna òono, bardes chargés, entre autres, de la déclamation des généalogies des chefs lors des grandes cérémonies communautaires.

De nos jours, ce nom est maintenant accordé à toute personne « maîtrisant » une spécialité, une technique ou une langue. C’est ainsi que les académiciens de la langue marquisienne se nomment tuhuka èo ènana à Nuku Hiva et Ua Pou, tuhuna èo ènana à Ua Huna, et tuhuna èo ènata au sud.

De même, en rappel du passé, les « maîtres sculpteurs » se nomment-ils tuhuka/tuhuna haatiki. Nul besoin de préciser la matière travaillée car ils sont tous aussi experts en l’art de sculpter le bois ou la pierre que de ciseler l’os.

On peut aussi ajouter que les tatoueurs sont devenus sculpteurs à partir de mars 1863, quand le nouveau règlement décréta l’interdiction générale du tatouage. Ne pouvant plus tatouer les corps, ils reportèrent leur art sur le bois, l’os et la pierre.

Qu’en est-il alors du mot « artisan » ?

Étant donné qu’on traduit « artisanat » par hana îima, ce qui, littéralement, signifie « travail des mains, travail manuel », on devrait pouvoir traduire « artisan » par tuhuka hana îìma. Néanmoins, si cette tournure est parfaitement correcte, on l’entend peu ; on préfère revenir à l’appellation de sculpteur/tuhuka haatiki, la sculpture faisant l’essentiel de l’artisanat marquisien.

En outre, mis à part les académiciennes, je n’ai jamais entendu l'appellation de tuhuka attribuée à une femme dans le domaine de l’artisanat car le terme de tuhuka/tuhuna semble avoir été réservé aux hommes. Pour désigner les artisanes, on dirait donc vehine hanaîìma.

En français, on distingue l’artisanat traditionnel de l’artisanat d’art. Si ce dernier a déjà trouvé sa place chez les revendeurs spécialisés de Tahiti, aux Marquises, on ne différencie pas.

En qualité de linguiste amateur pourtant, je considère l’appellation de hana îima/travail manuel comme restreinte et inappropriée à la qualité du travail exécuté par certains artisans qui les élève au rang d’artiste.


III - Art et artiste
, ce sont des mots au sujet desquels je pose en vain autour de moi des questions depuis près de vingt-six ans.

Le dictionnaire de Mgr Dordillon ne m’est d’aucune aide non plus puisque pour Art, il propose « ouvrage d’art : àakakai », (mot qui a de nombreux sens que je traiterai dans un de mes futurs articles). Concernant artisan, il propose tuhuka/tuhuna dont on a parlé plus haut ; pour artiste, il précise tuhuka/tuhuna kanahau, comme si le résultat de leur travail n’était pas toujours magnifique, kanahau.

Et pourtant, du côté marquisien de ce même dictionnaire, probablement oublié lors de la rédaction de la partie française, j’ai trouvé une perle, un mot-trésor qui signifie tout à la fois l’Art, l’artiste et le travail d’art.

À la page 124-I, entre « haahokohoko, v, louvoyer » et « haaìpaìpa, hakaìpaìpa, énorme, gigantesque », on trouve « HAAIAIA, v, inventer, composer, fabriquer des objets d’art ; s, ces objets, richesses ; artiste qui fabrique ces objets ». Que demander de plus ? (* Voir note en bas)


IV - Désormais,
on peut donc utiliser le mot haaiaia pour dire art, artiste et objet d’art, signifier en outre faire un travail d’artiste et qualifier d’artistique tout ce qui le mérite. On pourrait même enfin différencier l’artisanat traditionnel, te hana îima tumu de l’artisanat d’art, te hana îima haaiaia. On pourrait aussi proposer des phrases comme :

*- « C’est un travail d’artiste ; c’est très artistique » qui se dirait « Mea haaiaia oko tenā hana. »

*- « Qui a réalisé ce tiki ? », « C’est Kimo ; quel artiste ! » → « I na ai i haaiaia i tēnei tiki ? », « Na Kimo, he tuhuka haaiaia īa ! »

*- « Cela, c’est de l’art ! », « He hana haaiaia tenā ! ».

Avec « haaiaia » on dispose enfin d’un vocable capable de qualifier les arts, du premier au septième.

NOTE de Jacques Iakopo Pelleau du 18/08/2020

La graphie de Mgr Dordillon n'étant pas toujours certaine, il est possible que ce mot s'écrive « haaiàià » ; il ressemblerait alors au mot « haaièiè » (choyer ; faire l’élégant) que l’Académie a finalement choisi pour traduire le mot « artiste » dans « Hiva Oa, mon île tiki », un livre-jeunesse paru 2020.

 

Rédigé par Jacques Iakopo Pelleau en 2015
Mis en conformité avec la graphie académique marquisienne le 07/08/2022.

 

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