Dans mon article du 02/06/2019 retraçant le parcours matrimonial et la descendance de Temoana, on peut admirer un portrait de celui-ci réalisé fin août-début septembre 1848 par Adèle de Dombasle qui accompagnait alors à Nuku Hiva son frère journaliste, Edmond de Ginoux de la Coche.
Temoana y est représenté assis, de face, les bras croisés, un pagne autour des reins ; le bas de son corps n’est pas représenté.
Certains lecteurs ont été étonnés de ne voir aucun tatouage sur le corps de ce chef-hakaìki.
On peut tenter de donner quelques éléments de réponse.
1) - le 19 septembre 1833, lors de la cérémonie du mariage de Temoana avec Apekua, le pasteur protestant présent sur place, W.P. Alexander, décrit les vêtements, les ornements et tout le cérémonial ; il ne parle pas de tatouage, ni pour le jeune marié ni pour sa jeune épouse. Les deux sont âgés d’environ douze ans. (Dening op. cit. page 179)
Pourquoi Temoana n’a-t-il pas été tatoué en prévision d’une cérémonie aussi importante ?
2) - Six mois plus tard, Temoana s’embarque sur le Royal Sovereign pour la Grande Bretagne ; il ne reviendra définitivement que cinq ans plus tard, en décembre 1839.
3) - On sait que lors de deux escales de quatre mois à Tahuata en 1836 et 1839, il résidait chez Iotete, chef des Hema de Vaitahu.
En 1842, lors de l’annexion de Tahuata par la France, Max Radiguet écrit qu’aucun des enfants de Iotete n’était tatoué. Influencé par une visite à la reine Pōmare IV à Tahiti où il avait vu le tatouage interdit, Iotete avait appliqué cette nouveauté à ses enfants.
Non-tatoué avant son départ à l’âge de treize ans, peut-être Temoana suit-il l’exemple des enfants de Iotete à son retour en 1839, à l’âge de 18 ans ?
4) - Fin mai 1842, l’amiral Dupetit-Thouars arrive à Nukuhiva afin d’annexer les îles du nord de l’archipel. Max Radiguet est officier et secrétaire de l’amiral. Le 26 mai à 15h00, les chefs Taioa de Hakaui, Temoana, Pakoko et Niehitu, oncle et conseiller de Temoana sont réunis à bord de la frégate la Reine Blanche, le navire amiral ; ils vont signer la demande de protection de la France. Max Radiguet écrit : « Tous ces Canaques, à l’exception de Te-Moana, étaient âgés, tatoué et nus, les vieillards complètement bleus, les autres magnifiquement bariolés. »(Radiguet, op. cit. page 79)
Cela signifie donc que Temoana était jeune, habillé et non-tatoué.
5) - Début décembre 1844, l’officier de Marine René Gillotin peint une aquarelle de Temoana en uniforme ; aucun tatouage n’est visible sur son visage.
6) - Enfin, en 1848, Adèle de Dombasle réalise le portrait de Temoana de face dont nous avons déjà parlé, sur lequel aucun tatouage n’est apparent.
En conclusion, quelles qu’aient été les raisons pour lesquelles Temoana n’était pas tatoué, les lois conjointes de l’Église catholique et de l’État français qui interdisaient le tatouage pour le première fois, furent votées en mars 1863, six mois avant sa mort à l’âge de 42 ans. Elles n’y étaient donc pour rien…
BIBLIOGRAPHIE
- Dening, Greg, « Marquises 1774-1880. Réflexion sur une terre muette », éditions de l’association Èo Ènana, Tahiti, 1999.
- Radiguet, Max, « Les Derniers Sauvages », éditions Phébus, Paris, 2001.
Rédigé par Jacques Iakopo Pelleau
Mis en conformité avec la graphie académique marquisienne le 17/08/2022.