PREMIÈRE MESSE CATHOLIQUE AUX MARQUISES LE VENDREDI 28 JUILLET 1595
Pour les Protestants, l’Arrivée de l’Évangile en Polynésie française s’est produite le 5 mars 1797 ; la Parole de Dieu fut ensuite apportée aux Marquises par le Pasteur Crook qui posa le pied à Vaitahu, à Tahuata, le 6 juin de la même année.
Pour les Catholiques marquisiens, c’est le vendredi 28 juillet 1595 que l’Évangile fut lu pour la première fois sur le sol de la Terre des Hommes ; c’était en espagnol, et encore à Vaitahu.
LES FAITS
Le 16 juin 1595, quatre navires espagnols quittent Lima au Pérou dans l’espoir de retrouver les îles Salomon découvertes quelles années plus tôt, et où l’or coulerait à flots, tout comme dans les mines du roi Salomon… Cette flotte est commandée par Alvaro de Mendaña.
Au cours de cette traversée du Pacifique d’est en ouest, les Espagnols se trouvent face à un archipel encore inconnu qu’ils nomment Las Islas Marquesas de Mendoza, qui deviennent ainsi Les îles Marquises, et à l'époque aussi, Les îles Mendocines.
L’histoire de cette escale d’une dizaine de jours est souvent sanglante, parfois paisible et étonnante pour les Espagnols ; pour ceux qui veulent en savoir un peu plus, qu’ils se reportent aux deux ouvrages cités en référence qui sont les journaux de deux des participants à l’expédition : une femme et un homme.
Le 21 et le 22 juillet, ils longent la côte de Fatu Iva ; le 23, ils passent le long de Moho Tani et arrivent devant Hiva Oa où ils ne parviennent pas à jeter l’ancre. Le 24 et le 25, ils finissent par trouver un mouillage au nord de Tahuata où des escarmouches se produisent. Le 26, ils reprennent la mer et, le 27, jettent l’ancre dans la baie de Vaitahu qu’ils nomment Madre de Dios, la Mère de Dieu. Le 28 juillet, les Espagnols descendent à terre.
La baie de Vaitahu, Tahuata, de nos jours
1) - Journal de Doña Isabel Barreto, une aristocrate espagnole (Baert, op. cit. p.124-125)
« Quand je me réveillai, le vendredi 28 juillet, dans un lit qui ne bougeait pratiquement pas, je mis quelques instants à revenir à la réalité, mais les bruits qui venaient du pont me rappelèrent bientôt la solennité de la journée qui commençait. À part les hommes de quart, chargé de la garde des navires, nous allâmes tous à terre, où le vicaire dit la première messe de l’expédition, sur une verte prairie qui se trouvait près de la plage, devant les Marquisiens qui s’étaient rassemblés pour nous observer. Je ne pourrais affirmer qu’ils savaient ce que nous étions en train de faire, mais ils comprirent ou devinèrent, sans aucun doute, le caractère sacré de l’évènement, car ils gardèrent un silence respectueux, imitant tous nos gestes et s’agenouillant quand ils nous voyaient le faire : ce qui fit dire à nos prêtres, peut-être un peu hâtivement à mon avis, qu’ils étaient prêts à recevoir la parole divine.
Après la messe, alors que je me reposais sur l’herbe, une très jolie jeune fille vint s’asseoir près de moi – sans doute parce que la présence de ma dame de compagnie à mes côtés lui avait révélé que j’étais l’épouse du chef de la flotte – et elle se mit à me donner de l’air au moyen d’un bel éventail de palme tressée. Les hommes de son pays étaient tous entièrement nus, mais elle, elle était couverte, de la poitrine jusqu’aux pieds, d’une étrange toile fine, de couleur claire, qui semblait d’origine végétale. (…) »
2) - Journal de Pedro Fernandez de Quirós, chef-pilote de l’expédition (Quirós, op. cit. p. 56-57)
« Le lendemain du jour où l’on jeta l’ancre, le 28 juillet, l’adelantado (Titre de Mendaña) descendit à terre avec son épouse et la plupart des gens entendre la première messe, que dit le vicaire, pendant laquelle les Indiens restèrent à genoux, silencieux et attentifs, faisant tout ce qu’ils voyaient faire aux Chrétiens, et se montrant très pacifiques. Une très belle Indienne vint s’asseoir près de Doña Isabel pour l’éventer : ses cheveux étaient si blonds qu’elle tenta de lui en faire couper quelques uns, mais voyant que cela lui déplaisait, elle y renonça pour ne pas la fâcher (Note perso : La tête était la partie la plus tapu du corps humain ; on ne pouvait y porter la main)
Le général prit possession de ces quatre îles au nom de Sa Majesté (* Le roi d’Espagne), parcourut le village, sema du maïs devant les Indiens puis, après avoir conversé avec eux comme il pouvait, revint à bord. Le maître de camp resta à terre avec tous les soldats et, peu de temps après, les hostilités commencèrent. Les Indiens les attaquèrent à coups de pierres (* de frondes) et de lances, ne blessant qu’un soldat, au pied, puis s’enfuirent dans la montagne avec femmes et enfants ; nos gens les poursuivirent jusqu’à ce qu’ils s’enfoncent tous dans les bois. Pendant qu’ils leur tiraient dessus avec les arquebuses, les Indiens montèrent au sommet de trois hautes collines, où ils se retranchèrent pour se défendre et, du matin au soir, ils faisaient d’une seule voix un bruit sourd qui résonnait dans les vallées, et se répondaient en criant. Ils tentaient de blesser nos hommes en faisant rouler des rochers sur les versants, en jetant des pierres (* de fronde) et lances, mais ces efforts furent vains. » (…)
Le samedi 5 août, après avoir érigé trois croix dans la baie de Vaitahu, les Espagnols repartent en direction de San Cristobal aux îles Salomon. L’incompréhension mutuelle se solde par un nombre de morts atteignant les 70 si l’on prend le temps de lire les rapports journaliers de l’expédition.
Les Espagnols resteront marqués par la beauté des Marquisiens et de leurs tatouages ; la toute première description par Quirós de l’arbre à pain et de ses qualités fera saliver de nombreux autres navigateurs en quête de ces îles Marquises qui devront attendre 1774 et le Capitaine James Cook pour être à nouveau visitées par des étrangers.
ÉPILOGUE
Nul ne sait ce que les ènata de 1595 ont retenu de cette escale qui modifia le nom de leur pays à tout jamais ; nul doute, cependant, que la nouvelle de cette visite sanglante se trouva propagée rapidement par tout l’archipel et qu’elle devint sujet de chants et de danses, comme les kaìoi d’autrefois avaient coutume de le faire…
L'église de Vaitahu de nos jours; elle a gardé le nom de « Madre de Dios / Mère de Dieu »
En juillet 1995, 400 ans plus tard, le maire de Tahuata, Tehaumate Tetahiotupa, voulut marquer cet anniversaire de manière officielle en invitant une délégation venue d’Espagne participer aux cérémonies au cours desquelles fut dévoilée une plaque demandant le remplacement du nom « Îles Marquises » par l’appellation autochtone : « Te Fenua ènata / La Terre des Hommes ».
La plaque posée à Vaitahu en juillet 1995 à la requête du maire, Tehaumate TETAHIOTUPA, photo de droite.
Deux timbres commémoratifs furent aussi édités par l’OPT à cette occasion. Mendaña est à gauche ; Quirós, à droite.
Rédigé par Jacques Iakopo Pelleau, le 20 juillet 2020 à Taiohae
Mis en conformité avec la graphie académique marquisienne le 02/09/2022.
BIBLIOGRAPHIE
*- Baert, Annie ; Marquise de la Mer du Sud – Les premiers voyages espagnols en Océanie par Doña Isabel Barreto, Au Vent des îles, Tahiti, 2011
*- Quirós, Pedro Fernández de, « Histoire de la Découverte des Régions australes », traduction et notes de Annie Baert, L’Harmattan, Paris, 2001