I – Pakoko raconté par Willowdean Chatterson Handy
En 1973, aux éditions des Presses Universitaires Nationales d’Australie à Canberra, l’ethnologue-anthropologue Willowdean Chatterson Handy publiait le roman « Thunder from the Sea », littéralement « Le tonnerre venu de la mer » (Ce titre se réfère au grondement des coups de canon tirés par le « Daedalus » anglais, lors de sa 2ème escale dans la baie de Taiohae le 1er février 1793).
Passionnée de culture marquisienne, elle avait eu l’occasion de l’étudier avec son mari, et Ralph Linton, entre septembre 1920 et juin 1921 lors de l’expédition Bayard Dominick, organisée dans le Pacifique sud par le Bishop Museum de Hawaii. Après coup, ils publièrent de nombreux ouvrages traitant du tatouage, de la langue, de la culture et des légendes marquisiennes.
Vers la fin de sa vie, ayant emmagasiné des tonnes des documentation sur l’archipel, Willowdean entreprit l’écriture d’un roman racontant la vie des Marquises à l’époque de Pakoko. Je me suis lancé dans la traduction de ce récit mais, constatant très rapidement qu’il était en désaccord avec la réalité historique, je me suis arrêté après le 1er chapitre.
Dans ce roman, Willowdean écrit que le père de Pakoko se nommait Veo, et sa mère, Èhua. Le nom de son père adoptif était Fatu et celui de sa 1ère épouse Metani.
Là où les choses se gâtent c’est quand elle écrit que Kiatonui était fils adoptif de son père, donc son frère. Ou que Paetini était la fille qu’il avait eue avec Metani.
Il est clair que Willowdean n’a pas eu la chance, contrairement à nous, d’avoir accès au « Récit aux îles Marquises, 1798-1799 » du pasteur anglais William Pascoe Crook qui nous donne les détails des généalogies de Pakoko qui avait probablement 40 ans de moins que Kiatonui.
II – L’origine authentique de Pakoko
Avec la permission de mon amie Teupooteii Kuaitaioho Teikivaeoho-Terraux, descendante de Pakoko, je vous livre quelques détails de son arbre généalogique.
Si l’on ne connait pas la date de sa naissance, nous apprenons qu’il se nommait aussi Teikivaeoho et que sa femme s’appelait Tahiakuitete. L’arbre généalogique ne mentionne qu’une seule fille, Émilienne Teupooteii qui a épousé François Peregrini à Taiohae en 1852. C’est de là que descendent les Teikivaeoho.
III – Que nous raconte l’Histoire ?
A) – Avant décembre 1839, date du retour de Temoana
*- Au cours de l’année 1835, le navire américain Vincennes fait escale à Taiohae pour la seconde fois. Son commandant, le capitaine Thomas Jones envoie des « marines » pour capturer Pakoko, accusé d’avoir tué et mangé un écumeur de grève américain qui aurait volé des patates douces/kūmaa, et distribué à manger un porc tapu/puaka tapu.
À la page 70 de son livre « Vie quotidienne aux îles Marquises, 1797-1842 », Dominique Pechberty écrit que Pakoko se faisait appeler Miko, du prénom espagnol Domingo, nom d’un beachcomber noir qu’il avait tué pour lui avoir volé un porc.
Étant chef de Hikoei, Haavao et Pakiu, ses terres s’étendaient à l’ouest jusqu’à l’embouchure de la rivière Vaikeù, celle qui descend de Pakiu et qui sépare de nos jours la Mission de la résidence épiscopale.
*- Le 9 février 1839, les quatre premiers missionnaires catholiques français débarquent à Taiohae avec leur évêque, Mgr Rouchouze. Le 10 février, Mgr Rouchouze achète à Pakoko un terrain et une case situés un peu derrière la résidence épiscopale de nos jours. Les missionnaires y construisent la petite chapelle Ste Croix sous le patronage de St François d’Assise où une 1ère messe sera dite par Mgr Rouchouze en mai 1840 ; cet endroit sera abandonné par la Mission le 31 juillet 1841.
Dans les semaines qui suivent, le Père Mathias Gracia écrit dans son journal qu’ils sont amenés à prodiguer des soins à Pukutuava, 26 ans, victime d’anévrisme, et neveu de Pakoko.
Le 11 juillet 1839, le Père Mathias Gracia note dans son journal comment Pakoko explique que le mauvais comportement des étrangers-hāoè qui ont précédé les missionnaires ne le portait pas à leur faire confiance ; face aux nouveaux arrivés, il attend de voir pour croire à leurs paroles.
B) – Au retour de Temoana à Taiohae
*- Fin novembre ou début décembre 1839 selon différentes sources, après cinq années d’absence, Temoana revient à Taiohae ; il est âgé de 17/18 ans.
*- Le 6 décembre, premier dimanche après le retour de Temoana, un jeune Taipi est tué à Taiohae et les Teii attendent le rituel religieux en dansant non loin de leur meàe de Hikoei. Dans la foulée, Temoana lance un millier de guerriers contre les Taipi qui repoussent l’attaque et se mettent en quête de hēaka, les victimes sacrificielles. Au cours d’un autre raid sur Hakauì, trois Taioa sont faits prisonniers, ramenés à Taiohae et tués sur la grève.
*- Le 18 décembre, afin de reconquérir sa place ancestrale, Temoana entame une guerre contre Pakoko, chef de Haavao, Pakiu et Hikoei, qui avait pris beaucoup d’influence en son absence. D’origine Hapaa et privé d’autorité héréditaire, il finit par s’effacer devant Temoana, arrière petit-fils de Kiatonui et héritier reconnu de la chefferie des Teii. Pendant les troubles, la maison des missionnaires catholiques est incendiée. Temoana instaure le tapu sur les missionnaires ; nul n’a le droit d’aller les écouter. Ils partiront quelques semaines à Ua Pou au début 1840.
C) – À partir de 1842, année de l’annexion des Marquises par la France
*- Le 1er juin 1842, Taiohae, 15h00. Tous les chefs des Teii et des Taioa sont rassemblés sur la Reine Blanche, le navire amiral de Dupetit-Thouars ; Pakoko et Niehitu, oncle maternel de Temoana sont aussi présents. Aux pages 79 et 80 du livre de Max Radiguet « Les Derniers sauvages », on peut lire la description physique de Pakoko arborant son paèkouaèhi, chapeau de feuilles de cocotier tressées, Niehitu et son tatouage facial à bandes, et de Temoana : « Tous ces Canaques, à l’exception de Temoana étaient âgés, tatoués et nus, les vieillards complètement bleus, les autres magnifiquement bariolés ».
*- Le 2 juin, l’état-major débarque à Hakapehi et monte sur la colline Tuhiva où un mât a été dressé. Une cérémonie identique à celle de Vaitahu le 1er mai se déroule en présence des chefs Teii, Taioa et d’autres, comme l’attestent leurs « signatures » en bas des différents documents établis essentiellement l’acte de Prise de Possession de Nuku Hiva et des îles du groupe nord-ouest. Pakoko et les chefs Taioa réclament un pavillon français dont ils s’entourent le corps et rentrent satisfaits dans leurs vallées respectives.
*- Début décembre 1844, le lieutenant de vaisseau René Gillotin peint la baie de Taiohae ainsi que les portraits de Temoana, de son épouse, Tahiaoko, du grand-prêtre-tāuà de Meau, Veketu, et de Pakoko. On peut remarquer les épaulettes d’or de Temoana et celles d’argent de Pakoko ; les Français faisaient bien une différence de grade entre les deux.
*- Ce même mois, Radiguet nous raconte les funérailles du chef Niehitu, 3ème oncle maternel et conseiller de Temoana. Il nous explique que Pakoko et le grand-prêtre/tauà Veketu sont aussi présents.
D) – 1845, l’année fatale
*- En début d’année et depuis plusieurs mois, Pakoko et Temoana s’affrontent quant aux relations avec les Français. Le premier souhaite qu’on déclare tapu le troc de vivres contre de l’alcool dont il voit les effets désastreux sur la population et son chef, Temoana, un ivrogne reconnu, qui refuse et qui, pour se venger d’un capitaine américain qui l’avait humilié, choisit de proclamer tapu l’accès des femmes à bord des navires ce qui a pour effet de dresser la population contre lui, tant ce que rapportent les femmes des bateaux est devenu vital pour les ènana.
*- En janvier, des partisans de Pakoko se mettent à abattre des bovins et des moutons qui divaguent sur leurs terres et appartenant aux Français qui avaient construit un parc à bestiaux de 1000 têtes à l'emplacement actuel du terrain de football de Pātoa. Ils font aussi en sorte que les femmes de leur clan puissent monter à bord des navires.
*- Le 22 janvier, contraint de soutenir Temoana, le Commandant Particulier des îles Marquises, chef de Bataillon d’artillerie de Marine, Amalric, fait emprisonner les femmes qui s'éteint rendues sir des navires, dont deux filles de Pakoko, et demande une trentaine de porcs en réparation du bétail abattu. En outre, ayant entendu dire qu’il l’avait injurié en public, Amalric exige de Pakoko qu’il vienne s’excuser en personne. La rumeur continue à courir que les filles de Pakoko furent violées à cette occasion.
*- Le 27, on entend Pakoko et ses guerriers chanter les chants de guerre près de leur meàe de Haavao.
*- Le 28, dans la matinée, inconscients du tapu qui règne sur la zone, des soldats français, arrivés de Vaitahu la veille, se rendent en bas de la rivière de la vallée Pakiu, pour laver leur linge, un peu au-dessus du paepae Haeei. Ils sont encerclés par les partisans de Pakoko et cinq d’entre eux sont tués ; leurs corps nus sont fixés à une perche et ils sont transportés à la manière des victimes humaines sur un meàe où l’on dépose la tête de l’un d’entre eux.
En représailles, Amalric fait bombarder la vallée de Haavao et fait installer un blockhaus tout près de chez Pakoko, sur la colline qui la sépare de la vallée Pakiu et où, de nos jours, se dresse une grande croix blanche. Les obus de mortier tombent sur le tohua où une autre fille de Pakoko est en train de danser nue parmi les siens autour des corps des soldats ; une fois la population éloignée, Amalric fait brûler les cases, abattre les arbres à pain et détruire les fosses à mā (pâte de fruit à pain fermenté conservée dans des silos creusés dans le sol) . Pakoko passe la crête et réussit à s’enfuir chez les Hapaa de Vaituku, dont le chef est le fils aîné de Paetini, où il reste quelque temps, mais Amalric obtient qu’on lui livre un certain nombre de ses complices de l’assassinat des soldats.
*- Début février, Amalric envoie une soixantaine d’hommes pour capturer Pakoko ; en voyant les soldats français apparaitre en haut des crêtes par lesquelles l’expédition de Porter était passée en 1813, les Hapaa craignent les représailles des Français ; une grande-prêtresse/tauà prédit une grande famine si Pakoko ne se rend pas. À la question qu’elle pose de savoir s’il sera mangé, le lieutenant d’artillerie Porteu lui répond qu’il sera jugé. Abandonné aussi par les siens, Pakoko promet de se rendre le lendemain.
*- Le 21 février, le hakaìki de Haavao se rend à Amalric accompagné de trois ou cinq toa, ses guerriers.
*- Fin février, se déroule l’exécution sommaire de Okotahi ordonnée par Amalric. Il s’agissait d’un guérisseur meurtrier qui, ayant fui chez les Hapaa avec Pakoko, avait été reconduit à Taiohae par cette même tribu, à nouveau accusé d’assassinats. Il est incarcéré au Fort Collet, puis, ayant tenté de se pendre, il conduit près du blockhaus de la Roche où il est exécuté, sans aucun jugement.
*- Courant mars, au Fort Collet, se tient le procès de Pakoko ; la cour est composée d’officiers en uniforme d’apparat, d’un secrétaire et de Georges Winter agissant en qualité d’interprète comme celui-ci nous l'explique dans son livre « Un Vosgien tabou à Nuku Hiva ».
On écoute les « témoins » et les accusés ; les trois (ou cinq) toa accusent leur chef d’avoir ordonné le massacre des marins français tandis que Pakoko explique leur intervention sans son accord
*- Le 21 mars, jour du Vendredi Saint, après deux votes secrets, l’exécution est prononcée unanimement à l’encontre de Pakoko et de onze autre ènana condamnés par défaut. Un des toa de Pakoko est acquitté, les autres sont exilés à Eiao où ils érigent un meàe sur lequel ils placent un tiki en mémoire de leur chef/hakaìki. Sans attendre, après avoir quitté le Fort Collet sous bonne escorte, le condamné est conduit au Blockhaus de la Roche qui se dresse sur une des collines surplombant le Fort Collet au nord.
Relevé des installations militaires de Taiohae par le lieutenant du Génie Brunet,
le 20 décembre 1844, soit trois mois avant l'exécution de Pakoko (Cote-FR-ANOM-31DFC29A)
Le chef Pakoko dessiné à Taiohae en août 1838 par Ernest Goupil.
Le portrait de droite provient de la famille du Capitaine Jean-Daniel Rohr, officier d'artillerie de la Marine, stationné aux Marquises entre 1842 et 1844.
Dans le courant de l’après-midi, Pakoko, chef de Haavao, Pakiu et Hikoei à Taiohae est exécuté par un peloton dans le fossé derrière le blockhaus précité. (D’autres sources disent que c’était contre un gros rocher qui se dresse de nos jours en amont de la Cité administrative de Taiohae, à quelques dizaines de mètres de l'endroit probable).
Comme je ne suis pas expert en relevés cartographiques,
j'hésite entre deux emplacements par rapport au relevé de 1844.
La 1ère hypothèse est décrite ci-dessus.
La 2ème ci-dessous est la plus plausible, à mon avis...
Refusant de se faire bander les yeux et lier les mains, il attend la salve mortelle avec satisfaction, son éventail de chef à la main : il avait reconnu son crime et en acceptait le châtiment réservé aux guerriers ; il n’aurait pas aimé être pendu, disait-on. La population de ses vallées et de son clan se presse sur les crêtes de l’est, attendant en silence l’issue fatale ; les détonations sont suivies d’une clameur de tristesse et, en signe de deuil, les femmes dénudées se mettent à hurler et danser ; seule une canonnade met fin au triste spectacle.
On ne sait ce qui advenu du corps de Pakoko mais il a dû être récupéré par les siens et traité de la manière convenant à son rang.
Cependant, une rumeur dit que les Français l’avaient enterré dans une fosse comblée de tessons de bouteilles afin d’empêcher qu’on y touche ; mais le lendemain la fosse avait été vidée et le corps avait disparu.
Une autre rumeur explique qu’il aurait été jeté dans le puits maçonné qui se trouve devant le bureau de Poste actuel. Depuis quelque temps, à partir de cet endroit-là, une marche commémorative se déroule à travers Taiohae à la date anniversaire de l’exécution dont les conséquences se font encore sentir de nos jours. Les terres de Pakoko ayant été confisquées puis redistribuées, ses descendants actuels s’efforcent de les récupérer.
Après l’exécution, afin de calmer les esprits, Amalric organise une grande fête/koìka où toute l’île fut conviée. Il en résulta une concorde entre Français et Marquisiens qui dura jusqu’en 1852, l’arrivée du Commandant Bolle et ses difficultés avec Temoana.
Patuìa e / Rédigé par Jacques Iakopo Pelleau - Mis à jour le 15/03/2021 et le 15/02/2022.
Mis en conformité avec la graphie académique marquisienne le 08/08/2022.
Bibliographie
*- Dening, Greg – Marquises, 1774-1880 – Éditions de l’Association Èo Ènana - Papeete - 1999
*- Gracia, Père Mathias – Lettres sur les îles Marquises – Gaume Frères – Paris -1843
*- Handy, Willowdean Chatterson – Thunder from the Sea – Australian National University Press – Canberra – 1973
*- Radiguet, Max – Les Derniers Sauvages – Éditions Phébus – Paris – 2001
*- Winter, Georges, « Un Vosgien tabou à Nouka-Hiva ; souvenirs de voyage de Georges Winter, ex-soldat d’infanterie de Marine », résumé par J.V. Barbier, collection « Les voyageurs inconnus », imprimerie Berger-Levrault et Cie, Nancy, 1885.