Pour exprimer l’étonnement, la surprise ou l’émerveillement, il faut cesser d’utiliser les mots tahitiens « māere » et « fa’ahiahia ». En marquisien, il existe un mot équivalent qui exprime encore mieux la force de l’émotion, c’est le mot-base « mahaò ».
A)- À la page 172-I de son dictionnaire, voici ce que nous en dit Mgr Dordillon :
*- Mahaò : admirable, étonnant ; admirer, être rempli d’admiration ; louer quelqu’un ; s’étonner ; pē/pī i te mahaò : être grandement surpris, ravi, étonné de…
B)- « Te Tama Hakaìki iti » est la traduction en langue ènata du « Petit Prince » d’Antoine de Saint-Exupéry par Tehaumate Tetahiotupa et ses collègues de l’Académie marquisienne ; c’est désormais pour nous tous une source inestimable d’exemples modernes. En voici quelques extraits :
*- Page 10 : « J’ai vu un petit bonhomme tout à fait extraordinaire… » / « Me to ù ìte e tahi kaiū ènana mahaò nui… »
*- Page 10 : « …avec des yeux tout ronds d’étonnement ». / « …me nā mou mata pī i te mahaò ».
*- Page 16 : « Ça ne pouvait pas m’étonner beaucoup ». / « Aè hoì au i mahaò oko ».
C)- On peut aussi exprimer l’étonnement et la surprise à l’aide du mot-base « kiiete ».
1)- Curieusement, on ne trouve pas ce mot dans l’édition de 1904 du dictionnaire de Mgr Dordillon ; il faut la chercher dans celle de 1931. Et c’est à la page 221 qu’on le retrouve avec les significations suivantes :
*- Kiiete, frisson, sursaut, surprise ; frissonner, tressaillir ; exemple « U kiiete Toma i te haametaù », « Toma frissonne/frissonna de peur ».
2)- Dans « Te Tama Hakaìki iti », on trouve aussi :
*- Page 9 : « Alors vous imaginez ma surprise quand… » / « E vivini ana ôtou i toù kiiete i… ».
*- Page 13 : « Mais je fus bien surpris de voir s’illuminer le visage de mon jeune juge ». / « Mea à, o au te mea i kiiete i to ù ìteìa (i) te puàhaìa o te mata o to ù haavā māhaì hou ».
D)- Dans les deux éditions du dictionnaire, le mot-base « èmièe » est proposé avec les mêmes significations que « kiiete » ; de nos jours, on trouve « èmièe » avec le sens de « être choqué » (Lexique en images de l’École Saint-Joseph de Taiohaè, page 26)
E)- La surprise et l’étonnement peuvent enfin s’exprimer avec des exclamations plus ou moins élaborées :
1)- « Kanahau ! » ou bien « O ! Kanahau ! », « Que c’est beau ! », « Oh ! Que c’est beau ! ». Il faut faire remarquer ici que, si le mot-base « kanahau » est devenu d’un usage fréquent, autrefois, il ne s’employait que sous cette forme d’exclamation et non comme qualificatif.
2)- Autres expressions :
« Ae ! Ae ! Ae ! Ae ! » / « Oh la la ! »
« Auē te mahaò ! » / « Quelle surprise ! »
« Ihe te mei heò ! » / « Eve te mei heò ! » / « Que ce mei est lourd ! »
« Ihea te èmièe ! » / « Quelle surprise ! »
« E ao paa ! » / « C’est étonnant ! » (Dordillon, page 116-I)
3)- On trouve d’autres manifestations de surprise dans « Te Tama Hakaìki iti » :
*- Page 13 : « Tiens ! Il s’est endormi. » / « E ō ! U hiamoe te kaiū mutō ».
*- Page 15 : « Quelle drôle d’idée ! » / « Teia maakau huìkē ! »
4)- Face à une remarque étonnante, on peut encore exprimer sa surprise à l’aide de « Ae ? » / « Ah bon ? ».
5)- Enfin, les deux langues ont presque la même expression pour exprimer une surprise teintée de déception. En français « Les bras m’en tombent ! » et en marquisien « Ua motu tu ù ìima ! » (Dordillon, p. 191-I)
F)- Comme il ne faut jamais manquer une occasion d’enrichir son vocabulaire, revenons sur les deux mots-bases tahitiens « māere » et « fa’ahiahia » pour lesquels l’Académie de leur langue donne les traductions « stupéfiant, merveilleux, admirable ; être rempli d’admiration ».
Dans son dictionnaire, Mgr Dordillon donne à chacun de ces mots une définition différente, forcément empreinte de la vision de son époque.
*- Page 187-II : Pour « stupéfiant », il écrit « Mea èmièe, mea haametaù ».
*- Page 133-II : Pour « merveilleux », il renvoie à « merveille » : « Mea kanahau oko ; mea makivikivi ».
*- Page 9-I : Pour « admirable », on trouve « kanahau » auquel vient s’ajouter « mahaò ».
De nos jours, si « èmièe » et « haametaù » renvoient à ce qui provoque la crainte, si « kanahau » s’adresse à la beauté simple, « makivikivi » et « mahaò » conviennent parfaitement à la beauté source d’admiration.
G)- Pour conclure (peut-être ?) :
Afin d’exprimer son admiration, il faut remplacer « fa’ahiahia » et « māere » par « makivikivi » ou « mahaò ».
« C’est admirable ! » se dira donc « Mea makivikivi ! » ou « Mea mahaò ! », ou bien encore « E ao paa ! ».
Patuìa e Jacques Iakopo Pelleau