ÉTYMOLOGIE PROBABLE DU MOT « HAKAÌKI »
I - PRÉAMBULE
Depuis la création des communes en Polynésie française en 1972, c’est le mot « hakaìki », désignant les chefs traditionnels d’autrefois, qui est utilisé pour désigner les « maires ».
Pour expliquer la signification de ce mot, il était logique, à l’époque, de se baser sur le mot tel quel, composé du préfixe factitif « haa-, haka- » (Signifiant « faire ») et du mot « ìki », dont tous les Polynésiens connaissent la signification de « petit ».
En toute bonne foi, en se basant sur ces détails, on disait que « hakaìki » signifiait « faire petit », le maire étant celui qui « se faisait petit », humble, devant ses concitoyens…
Personnellement, mon étude de la langue marquisienne depuis 1995, la pratique même imparfaite de cette langue et mon intuition me portaient à douter de ce sens qui est contraire à la sémantique du marquisien et à la position sociale des anciens « hakaìki » qui n’avait rien de « petit ».
En effet, comme mentionné plus haut, le préfixe factitif « haa-, haka- » provoque la réalisation concrète de la notion qui le suit.
À moins que ça ne soit précisé par un complément renvoyant au sujet, « haaìte, hakakite » signifie « faire + voir = montrer » à « montrer quelque chose ou quelqu’un » et non « se montrer (soi-même) » ; de même pour « haapao, hakapao » qui signifie « faire + être fini = finir, terminer, achever » à « finir, terminer quelque chose » et non « se finir, se terminer » (soi-même).
Faute d’arguments concluants, j’en suis resté là jusqu’à la date aujourd’hui à laquelle, grâce à des outils linguistiques récents et accessibles à tous, le temps est venu de reprendre le sujet et d’apporter des arguments convaincants à mon étude.
II - QU’EST-CE QUE LE POLLEX ?
1) - C’est d’abord le résultat de la fusion de deux mots : POLYNESIAN LEXICON.
2) - Comme son nom anglais l’indique, c’est un « Lexique Polynésien ».
3) - Il fut créé dans les années 1960 par Bruce Biggs, Professeur à l’Université d’Auckland en Nouvelle Zélande ; à sa mort en 2000, le projet fut repris par le Professeur Ross Clark.
Avec l’arrivée de l’informatique et d’internet, ce projet se nomme désormais : « POLLEX-Online : The Polynesian Lexicon Project Online. Oceanic Linguistics », en français : POLLEX- En ligne : Le Projet en ligne de Lexique Polynésien.
4) - POLLEX est donc une immense base de données informatiques regroupant la quasi-totalité des langues polynésiennes et l’étymologie protopolynésienne de leurs vocables.
On peut y accéder en cliquant sur le lien sous les images ci-après. Certains navigateurs en refusent l’accès pour des raisons que j’ignore ; sur Google Chrome, en cliquant droit sur la souris, on a accès à la traduction française des explications. On peut ensuite chercher un mot en le tapant dans le rectangle en bas à gauche ; une autre fenêtre s’ouvre alors et, dans le menu déroulant, il faut alors choisir « entries/entrées » qui donne accès aux mots français, anglais ou marquisiens (sans signe diacritique).
Cliquer sur ce lien pour accéder à la page d'accueil de POLLEX.
III - L’ACADÉMIE MARQUISIENNE ET POLLEX
Depuis mon intégration à l’Académie marquisienne en 2019, aux côtés de tous mes amis Académiciens, je travaille tous les jours sur la réalisation du futur dictionnaire trilingue marquisien-français-anglais initié par Teiki Huukena, fort de l’expérience de ses deux dictionnaires du « Patutiki », le tatouage marquisien.
Parmi les rubriques de ce dictionnaire, il en est une portant sur l’étymologie protopolynésienne des mots que nous recherchons dans POLLEX afin d’enrichir notre connaissance profonde de la langue marquisienne et d’en faire profiter les générations futures.
Concernant le mot « hakaìki », j’ai ainsi découvert ce que je recherchais depuis longtemps…
VI - « ITI, ÌKI, HAKAÌKI » ET « POLLEX »
A) - IKI
Si vous tapez « qiti » dans le rectangle de la 2ème image et que vous cliquez sur « protoform(e), vous ouvrirez une page dans laquelle s’affichent 21 langues employant une forme dérivée de « qiti ». En descendant la liste, on trouve le mot marquisien : iti. La glottale originelle signalée par /q/ a disparu.
B) - ÌKI
Si vous tapez « riki » dans le rectangle de la 2ème image et que vous cliquez sur « protoform(e), vous ouvrirez une page dans laquelle s’affichent 59 langues employant une forme dérivée de « riki ». En descendant la liste, on trouve deux mots marquisiens : ìki = petit et tōìki = enfant. Le « r » est tombé et a été remplacé par la glottale marquée du signe linguistique /ʔ/ (graphie académique : à, è, ì, ò, ù).
C) - HAKAÌKI
Conformément à ce qu’on vient de lire, on ne trouve pas plus le mot « hakaìki » dans la liste des mots de la famille de « iti » que dans la liste de « ìki », tous signifiant « petit ».
Quelle est donc l’origine de « hakaìki » ?
Si vous tapez « qariki » dans le rectangle de la 2ème image et que vous cliquez sur « protoform(e), vous ouvrirez une page dans laquelle s’affichent 52 langues employant une forme dérivée de « qariki » ; on y trouve des « ariki, aliki, alii, arii » et même un « iki » à Niue, tous signifiant « chef, personne importante ».
Dans certaines langues, la glottale originelle marquée par « q » est tombée, dans d’autres, elle perdure, remplacée par la glottale marquée du signe linguistique /ʔ/ (graphie académique : à, è, ì, ò, ù).
En descendant la liste, on trouve les 4 mots marquisiens suivants :
*- Hakaìki : Chef, maître, seigneur (Dln = Dordillon 1904)
*- Aiki : Chef, officier, intendant, homme riche (Dordillon)
*- A-eke, hekka-eke (= Aìki, hakaìki) : un homme chef (Crk = Crook 1799)
*- Ea, aree, ke (= E ariki) : un chef (Rbs = William Robarts 1798-1806)
On constate que parmi les 52 langues affichées, seule la langue marquisienne fait apparaître le préfixe « haka- » fusionné avec « qariki » ; on obtient donc « haka + qariki » qui deviennent « hakaariki ». Les deux « a » du milieu fusionnent pour former « hakariki » ; le « r » disparaît et est remplacé par le « ì » glottalisé. Le mot prend enfin la forme actuelle : « hakaìki ».
V - CONCLUSION (POSSIBLE)
Si j’étais linguiste universitaire de formation, à la lumière de ces recherches et de ces découvertes, je proposerais de dire que le « lemme » ou « l’unité lexicale » ou le mot « hakaìki » ne signifie pas « faire petit », ni à fortiori « se faire petit » mais, plutôt, « faire chef » ou « faiseur de chefs » ou « celui qui a le mana de faire un chef de quelqu’un », de son fils ou du premier-né de sa sœur, par exemple, celui dénommé « îàmutu » …
Mais comme je ne suis qu’un « amateur acharné », je dirais que cette proposition correspond bien à ma pensée et que j’y souscrit.
Rédigé et publié à Taiohae par Jacques Iakopo Pelleau le vendredi 28 avril 2023.