Le nom complet de Vaekehu était Vaekehuupokotitipu. Le 29 juin 1853, elle avait reçu les saints prénoms de Élisabeth Louise Françoise ; l’usage local avait transformé le premier en Eritapeta.
Portrait de Vaekehu en 1898 par Henry Lemasson
Dans son acte de décès en date du lendemain, 19 juin 1901 (voir illustration plus bas), il est écrit qu’elle était fille de Paetini « Mille Chapeaux » et de Temanunuioteii « Le Grand Oiseau des Teii », (parfois appelé Tuoiea, Toooiaù et Temaunui), chef des Teavaani de Hooumi. Il y est aussi rapporté qu’elle était née à Taiohae et qu’elle avait 76 ans ; elle était donc probablement née en 1825.
Grâce au nom de ses célèbres parents, nous comprenons qu’elle était sœur cadette de Apekua, première épouse de Temoana, tous deux parents biologiques de Stanislas Moanatini.
I - LES JEUNES ANNÉES CHEZ LES HAPAA
A) - Les sources écrites
Le jeune marin français Georges Winter vécut à Taiohae entre 1844 et 1847. En février 1845, à l’occasion de la fuite de Pakoko chez les Hapaa de Vaituku, il écrit dans ses mémoires :
« C’est une tribu pauvre n’ayant pas les ressources voulues pour donner une hospitalité aussi coûteuse ; elle abrite les enfants de Payetini (*Paetini) qui avait été la maîtresse du capitaine Porter ».
Fin avril de la même année, alors que Winter quitte Taipivai en traversant la rivière, il est accueilli sur la rive sud par des membres de la tribu (*Hapaa) « dont le chef est le frère des filles de Paetini ».
Georges Winter précise aussi que les Français appelaient cette tribu les Hapaa-Manu parce que le nom de leur chef commençait par Manu ou Temanu ; probablement « Temanunuio… », « Le Grand Oiseau des… », comme son père...
Cela signifie que le chef des Hapaa de Vaituku était fils de Paetini et de Temanunuioteii ; certains de ses frères et sœurs vivaient sous sa protection.
B) - La tradition orale
Ce sont les récits transmis de génération en génération qui nous apportent des précisions sur cette période-là. L’écrit et l’oral parfois se rejoignent.
Mon amie Félicité Teei Kimitete m’a raconté que, dans sa jeunesse, Vaekehu vivait dans la tribu de son premier mari, un chef Hapaa de Vaituku, du nom de Tetouanuiohapaa « La Grande Guerre des Hapaa » avec lequel elle avait eu une fille, Titahuuupoko. Elle vivait donc avec sa famille, chez son frère Temanunuio… À la suite du décès de son époux et de sa fille, Vaekehu s’était trouvée veuve et sans enfants.
II - LA VIE AVEC TEMOANA
A) - TEMOANA : DE TAHIAOKO À VAEKEHU
Fin août-début septembre 1848, le journaliste français Edmond Ginoux de la Coche est de passage à Taiohae. Tahiaoko, deuxième épouse de Temoana, lasse du mauvais comportement de ce dernier, vient de le quitter définitivement. Ils étaient ensemble au moins depuis 1842. Ginoux de la Coche écrit :
« Comment remplacer convenablement sa fugitive ? L’île de Noukou-hiva (*Nuku Hiva) ne possédait pas une autre Tahiaoko. À la fin, Té-Moana (*Temoana) apprit qu’un chef de Ouapo (*Ùa Pou), petite île à dix lieues (*48 km) au sud de Noukou-hiva, avait une fille très belle, très blanche, avec des yeux bleus. Sur ces indications, le roi partit, et il ramena, en effet, une charmante jeune femme, douce, résignée, qu’il installa à la place de Tahiaoko. Je doute que la fille du chef de Ouapo vive à cette heure. Quand j’ai quitté Noukou-hiva pour la dernière fois (* le 3 septembre 1848), la nouvelle reine était souffrante et paraissait ne devoir pas vivre longtemps ».
Si l’on sait désormais que Temoana a remplacé Tahiaoko par cette jeune femme de Ua Pou, on ne connait pas son nom. Nul ne sait, non plus, si elle eut des enfants, ni comment elle disparut.
Elle fut remplacée par Vaekehuupokotitipu en 1849 ou 1850. En cette moitié de XIXème siècle, celle-ci avait environ 25 ans ; elle était veuve et sans enfants. Fille cadette de Paetini, sœur cadette de Apekua, il était presque logique que Temoana se tournât vers elle ; ils étaient tous deux arrière-petits-enfants du grand chef Kiatonui par deux lignées différentes. Ils étaient cousins au troisième degré.
Nous ne possédons, à ce jour, aucun document attestant des circonstances de son union avec Temoana que seuls certains événements historiques viennent mettre en lumière.
B) - VAEKEHU AVEC TEMOANA (de 1850 à 1863)
1) - 1852 : les incidents avec le commandant Bolle
C’est à l’occasion des incidents de 1852 avec le Commandant-particulier Bolle que le nom de Vaekehu apparait pour la première fois dans les livres d’Histoire pour ne plus jamais les quitter.
En juin 1852, après une période de trois années marquées par des troubles et la présence intermittente de la Marine sur place, le commandant particulier Bolle arrive à Taiohae à la tête d’une garnison chargée de rétablir l’ordre et de gérer la détention de trois déportés accompagnés de leur famille.
Entre juillet et septembre, l’instabilité et les troubles persistent à Taiohae.
Malgré les marques d’attachement et le soutien apportés par Vaekehu, Bolle est persuadé du double-jeu de Temoana. Bolle le fait arrêter avec Vaekehu et les envoie en captivité à Tahiti. Le Commissaire Page de Tahiti désavoue les décisions de Bolle ; Temoana et Vaekehu retournent rapidement à Nuku Hiva.
Sans rentrer dans les détails, de nombreux témoignages attestent de la bonne influence de Vaekehu sur Temoana.
Comme nous l’avons déjà vu, ce dernier abusait fréquemment de l’alcool et cela le conduisait à des crises de violence au cours desquelles il détruisait les habitations en y mettant parfois le feu, clamant que la reconstruction donnerait du travail à sa population. (La Granville, op. cit. p 78)
Peu à peu, Temoana abandonne l’alcool et, le 29 juin 1853, Temoana, Vaekehu, et les enfants de Temoana se font baptiser à Taiohae par le Père Dordillon, pas encore évêque, qui était inervenu auprès des autorités françaises pour faire libérer le couple princier lors de son incarcération à Tahiti.
2) - 1853 : conversion et baptême
En 1853, le 29 juin, le Père Dordillon procède à la conversion au catholicisme et au baptême de Temoana et de son épouse Vaekehu qui prennent les noms de Jules Charles (Karoro) et Élisabeth Louise Françoise (Eritapeta). Sont aussi baptisés deux enfants de Temoana : son fils, Moanatini qui prend les noms de Stanislas Jules Charles, et sa fille, aveugle, Teìkiautini qui prend le nom de Louise. Ils sont suivis du chef de Hoata et d’une soixantaine de leurs proches ; le reste du peuple suivra leur exemple. Les autorités locales ainsi des officiels ènana de Ua Pou sont invités à un banquet/kaina mau pour lequel quatre-vingt porcs sont passés au four.
(Cliquer ici pour voir l'article traitant du baptême du 29 juin 1853)
Temoana fait don à l’église catholique du tohua koìka Pikitouaomauia non loin de chez lui. De nos jours, ce magnifique site est toujours le siège de l’Église catholique aux Marquises, rehaussé de nombreux bâtiments tels la cathédrale Notre-Dame des îles Marquises et l'école Saint Joseph.
Ce baptême est aussi un acte de soumission définitive à la loi française ; désormais Temoana et Vaekehu collaborent étroitement avec le colonisateur.
3) - En 1858, le 26 décembre, Mgr Dordillon, Temoana et Vaekehu assistent à un repas de porc rôti destiné à faire comprendre à tous la fin des tapu. La viande est aussi distribuée aux femmes, mangeant en commun avec les hommes; de même, tous boivent de l’eau du même récipient.
4) - 1863, l’année horrible, marquée par quatre tragédies majeures.
*- Une famine qui dure une grande partie de la décennie 1860.
*- C’est en mars qu’est décrété par l’État et l’Église le « Règlement pour la conduite des indigènes de l’île Nuka Hiva » qui interdit toute manifestation de la culture païenne. Temoana est fait grand-chef de l’île. Les Marquises et les Marquisiens sombrent dans le mutisme.
*- En août, une épidémie de variole éclate à Taiohae ; elle fera plus de 1500 morts.
*- Le 12 septembre, après des mois de souffrance causée par une pleurésie, Temoana décède à l’âge d’environ 42 ans. Il est enterré à Viihenua, au-dessus du paepae « Pikivehine » à Taiohae.
C) - VAEKEHU APRÈS TEMOANA
En février 1864, cinq mois après le décès de Temoana, les autorités coloniales françaises nomment Stanislas successeur de son père, Grand-chef de Nuku Hiva ; Vaekehu n'est pas oubliée et recoit une petite pension (voir arrêté ci-dessous; BOEFO_1864_N05_p_121)
REMARQUES : Selon les experts financiers, un franc de l'époque équivaudrait à 3.27 €, donc 600 francs = 1962 € = 234125 cfp ; 2000 francs = 6540 € = 780418 cfp
On peut lire un autre article sur la vie de Stanislas Moanatini en cliquant sur ce lien.
Veuve à 38 ans, Vaekehu consacre le reste de sa vie à la religion catholique et aux bonnes relations avec les Français. Considérée comme « Reine de Nuku Hiva », elle reçoit les visiteurs de passage dans sa maison en bas de la tombe de Temoana.
*- Le 13 mai 1869, en présence du Père Chaulet qui raconte la scène, le Résident Eyriaud de Vergnes vient inviter Vaekehu à une fête donnée par un certain Pehipo et un certain Teave ; le Père Chaulet qui voit chaque jour les dégâts causés par l’alcool met en garde la veuve de Temoana qui lui aurait alors répondu : « Tel est notre usage à nous, Kanaks. On commence par des jeux amoureux, on chante des ùta langoureux et lascifs, on danse et on se tatoue. On fait ensuite des fêtes. On désire ensuite de l’alcool pour les fêtes. On se met à fabriquer de l’alcool partout, et on boit. Alors on se querelle, on se bat, on se tue et on se mange ». Pas de commentaires ! (Le Port, op. cit. page 21)
Vaekehu et Stanislas Moanatini sur le paepae Pikivehine de Taiohae, dessinés par Pierre Loti en janvier 1872
*- Le 29 mai 1879, en vue de le faire bénéficier de tous ses droits et titres, Vaekehu adopte officiellement Stanislas Moanatini, fils de Temoana (Stanislas était donc en même temps son neveu et son beau-fils) . L’acte officiel est établi à Taiohae en présence du Résident Eugène Chastagné. (Document prêté par Félicité Teei Kimitete).
*- Les 20 et 21 avril 1893, se déroulent à Taiohae un double mariage princier ; il en subsiste la célèbre photo ci-dessous dont l’auteur est Frederick William Christian.
Cliquer ici pour lire l’article complet concernant cette photo.
On peut y voir Vaekehu assise au centre entourée des deux jeunes mariées. Derrière, se tiennent Stanislas Moanatini et sa femme Sabine entourant les deux jeunes époux. C’est la seule photo de Stanislas qui devait mourir huit mois plus tard, le 16 décembre 1893. Son acte de décès précise qu’il était chef de Hakaui. Le titre de grand-chef a donc disparu avec Temoana en 1863.
*- En poste cette année 1897 et la suivante, l’administrateur Gilles Thuret reçoit la visite de Vaekehu, veuve de Temoana, accompagnée de ses petits-enfants et de toute la population de Hakaui. On lui explique que, par acte notarié, Vaekehu avait fait don de la vallée à son beau-fils héritier, Stanislas Moanatini. Ce dernier étant décédé depuis quatre ans, et la deuxième de ses filles, Marie-Anne, épouse Taupotini, venant d’atteindre sa majorité, ses biens avaient été partagés équitablement entre elle et sa sœur aînée Élisabeth Vaekehuupokotitipumaheòno, la vallée de Hakaui étant revenue à Marie-Anne. Face à la crainte de voir leur vallée vendue à un Européen, les habitants désirent qu’elle revienne à Vaekehu qui maintiendraient leurs droits à la possession du sol. Sous réserve de conserver son droit intégral sur la vallée entière, Marie-Anne promet à tous de respecter leurs droits et ceux de leurs descendants. En 1925, l’épisode connaitra un épilogue douloureux.
*- Vaekehu décède le 18 juin 1901. Elle est enterrée à Viihenua, aux côtés de Temoana et de Stanislas Moanatini. Avec elle s’éteint le titre de reine donné par les Français.
Acte de décès de Vaekehu, le 18 juin 1901 à Taiohae
Cependant, par tradition et respect, on continuera à qualifier de chef ou de dernier roi de Nuku Hiva, Laurent Piutete Stanislas Taniha Taupotini, fils aîné de Marie-Anne et de Petero qui fut chef de district avant la réforme communale de 1972.
BIBLIOGRAPHIE
- Chaulet, Pierre, Père Géraud (S.S.C.C.) « Notices géographiques, ethnographiques et religieuses sur les îles Marquises » (1873)
- La Grandville, Frédéric de, « Edmond de Ginoux, ethnologue en Polynésie française dans les années 1840 ; catalogue raisonné des objets ethnographiques composant ma collection (1866). Édition critique : préface, notes, annexes et restitution du texte », éditions L’Harmattan, 2001.
- Le Port, Frère Joseph (F.I.C), « Les pionniers de l’école aux Marquises », édition 2008.
- Winter, Georges, « Un Vosgien tabou à Nouka-Hiva ; souvenirs de voyage de Georges Winter, ex-soldat d’infanterie de Marine », résumé par J.V. Barbier, collection « Les voyageurs inconnus », imprimerie Berger-Levrault et Cie, Nancy, 1885.
Rédigé par Jacques Iakopo Pelleau en juin 2019 ; mis à jour le 16/06/2021 et le 25/08/2021
Mis en conformité avec la graphie académique marquisienne le 18/08/2022.