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Vue de la plage Vainaho et du Fort Collet, Taiohae, Nuku Hiva. René Gillotin, 1844.

Autour des couleurs du drapeau marquisien

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Nombreux sont ceux qui se sont déjà penchés sur le sujet et, en fin d’article, je propose des liens qui permettront de voir ce que d’autres ont écrit. En qualité de linguiste amateur, j’insisterai davantage sur le vocabulaire autour des couleurs entrant dans la constitution de ce drapeau.

Le drapeau d’un pays contient des symboles forts qui font référence à son histoire, à ses coutumes ou à son environnement. Pour le drapeau français, chacun doit savoir qu’il est composé des deux couleurs de la ville de Paris entourant le blanc royal privé de ses fleurs de lys.

Le drapeau marquisien se compose de trois couleurs et d’un motif : le jaune, le rouge et le triangle blanc orné de l’effigie de Tiki.

drapeau marquisien 2018                

Concernant le vocable « drapeau », si le mot « pavillon » de la Marine Nationale d’occupation s’est muté en « paviō », pour le traduire, le dictionnaire de Mgr Dordillon nous fournit aussi les mots « epaepa, pepa » et « tipa. » l'Académie penche pour « tipa ».

 

1) - La couleur jaune qui forme la bande supérieure du drapeau se dit « tokatoka ». Pourtant, on ne fait pas référence à ce mot quand on parle du drapeau ; on parle plutôt du curcuma ou safran des Indes, qui se dit « èka ènana » et dont la couleur tire sur l’orange carotte, « kuuhua », synonyme de « puatou », couleur « fleur de tou ».

À l’origine, « kuuhua » désignait les vêtements imprégnés de curcuma, dont ils prenaient la couleur et l’odeur.

Le curcuma est un rhizome d’aspect identique au gingembre. Autrefois, le monopole de la culture et de la cuisson du curcuma revenait aux Hapaa de Muàke à Nuku Hiva. Ils produisaient des pains de parfum qu’ils échangeaient dans le reste de l’archipel. Ce parfum appelé « èka moa » était dilué dans l’huile de coco ; on s’en servait pour enduire le corps et le « tapa » non « tapu » afin de les parfumer. C’était une huile très tachante et, dans le dictionnaire de Mgr Dordillon, on peut trouver des dizaines de mots exprimant le degré d’imprégnation d’huile des vêtements de « tapa » et des corps. De même pour la gradation d’intensité du parfum.

Néanmoins, l’usage du curcuma était réservé aux femmes et aux « kaìoi » en période de fête ou « koika/koina » ; cette catégorie sociale était généralement non « tapu ».

« Les kaìoi formaient un groupe de garçons et de filles qui, à l'époque de leur puberté, vivaient à l'écart durant les quelques années qu'ils consacraient à l'apprentissage des arts et des divertissements coutumiers des « ènana/ènata », dont celui du chant et de la danse lors des fêtes. Il y avait tellement de « koìka » dans les vallées et tout autour de l'île, que, pour s'y préparer, ils devaient passer le meilleur de leur temps, isolés en des maisons spécialement construites pour cela, à apprendre leurs chants, à s'exercer à la danse, à fabriquer des onguents pour se blanchir la peau, à se frotter d'huile et subir le tatouage ». (d’après Greg Dening).

Que disent les dictionnaires ?

À la page 117-I du dictionnaire de Mgr Dordillon, outre le nom du curcuma, pour le mot « èka », on trouve les significations de « s’amuser, s’attarder ; séjourner ; joie, plaisir ; agréable, joyeux ».

À la même page, on trouve « èkaèka » signifiant « joie, réjouissance, plaisir, divertissement ; réjouissant, joyeux, mélodieux ; se réjouir, s’amuser, se divertir ». Son dérivé « haaèkaèka » signifie « réjouir, divertir ».

À la page 15 de « Mou Pona Tekao », l’académie traduit ce dernier mot par « animation, animer ». C’est donc bien la notion de fête que symbolise le jaune-orange du drapeau.

Le lien ci-après vous conduira vers des détails supplémentaires.

 

2) - Le rouge forme la bande inférieure du drapeau. Dans la langue de tous les jours, la couleur rouge est qualifiée du doux nom de « pūkiki ». Là encore cependant, ce n’est pas le mot qu’on utilise quand on parle de la couleur du drapeau, appelée « kuà » dont la proximité avec « ūà », « brûler, flamber », donne bien la tonalité de teinte. Ce sont ces deux mots que préconise l’Académie en traduction du mot « rouge », page 123 de « Mou Pona Tekao. »

Dans le dictionnaire de Mgr Dordillon, pour « pūkiki », on trouve « rouge, la couleur rouge ; enflammé par la colère ou la douleur ». On trouve aussi « pūkiki māheahea », couleur rose clair, et « pūkiki veà kā/veà kīkā », très rouge.

Toujours dans le dictionnaire Dordillon, en plus d’une espèce d’oiseau, d’une variété d’algue et de l’humeur séreuse, pour « kuà », on trouve « la couleur rouge », et au figuré, « l’excellence, la beauté et la rareté d’une entité ». « Te kuà o te ènana », la crème des hommes.

À la page 179-II du dictionnaire de Mgr Dordillon, pour les traductions du mot « rouge », on lit « pūkiki, veàkiki, toii, ūàūà. » Pour « rouge écarlate », on peut lire « pūkiki hāveàveà, pūkiki hāveòveò, mona hauriuri. »

Dans le mot « veà », c’est l’idée de chaleur brûlante qui domine. Un peu plus bas, on voit ses composés « veà ki, veà kiki, veà kikaūà » signifiant « rouge écarlate. » Rappelons-nous que l’or se dit « monikiki », comme si les Marquisiens avaient compris dès le début que, de par sa couleur, ce métal pouvait brûler aussi bien les yeux que les mains...

Le rouge écarlate, couleur rarissime dans la nature, était autrefois « tapu » et réservée aux chefs ainsi qu’aux grands-prêtres/prophètes, les « tāuà. » On la trouvait dans les plumes ventrales du « kukupa », le ptilope des Marquises, ou sur les plumes caudales de certains phaétons appelés aussi paille-en-queue.

On en confectionnait des ornements d’une valeur incalculable comme le célèbre « paè kuà » porté sur le front par les « tāuà. »

De même, les plumes pectorales des coqs les rendaient intouchables au commun des « ènana/ènata ». (Les coqs étaient aussi « tapu » à cause de leurs deux plumes caudales dont il fallait cinq cent unités pour confectionner un « taavaha », grande parure de tête qui pouvait s’échanger contre un fusil vers 1845.)

En raison de sa rareté, toute couleur s’en approchant était aussi « tapu » ; les bananes rouges étaient « tapu. » En 1813, à l’époque de Kiatonui, Porter rapporte que tous les porcs roux appartenaient au chef. Le « tapa » de couleur brun-oranger confectionné à partir de l’écorce des jeunes pousses ou racines de banian était lui aussi « tapu » et servait à confectionner le « hami hiapo », pagne des chefs et de leurs fils. En raison de sa couleur tirant sur le rouge-marron, le tuf volcanique ferrugineux appelé « keetū » était employé comme soubassement frontal de la partie habitée des « paepae » des chefs.

C’est en rappel de cette tradition et avec ce même matériau qu’a été élevé le mur absidial de la cathédrale de Taiohae. Ce qui était bon pour les chefs l’est aussi pour Dieu, même si la couleur brun-rosé n’a rien d’écarlate.

 

3) - Le long du mât, la troisième partie du drapeau marquisien se présente sous la forme d’un triangle blanc au centre duquel se tient la face stylisée et noire du dieu Tiki.

Pour exprimer la couleur blanche, le marquisien dispose de nombreux mots. « Aoàni », blanc, resplendissant ; « māìta », blanc, la couleur blanche, est plutôt usité au sud de nos jours ; « tea », blanc, clair, limpide, tache blanche sur la peau ; c’est aussi le mot choisi pour le métal argent, « monitea ». C’est encore le mot utilisé par les Marquisiens pour désigner un non-marquisien blanc, un blanc qui se dit « kiitea », peau blanche. « Tavaìè /tavarire » se traduit par : net, propre, blanc, clair ; ce mot est plutôt usité au nord de nos jours. « Tava » tout seul signifie aussi blanc ; « tava ai koè », littéralement « blanc sans tache », pourrait se traduire par « blanc comme neige » comme l’explique le dictionnaire de Mgr Dordillon page 258-I.

Aux Marquises, comme partout en Polynésie, le blanc est encore la couleur du divin, comme on peut le voir le dimanche aussi bien chez les protestants que chez les catholiques. Contrairement à la tradition occidentale, il est aussi signe de deuil, la mort et le divin étant étroitement liés. Aux enterrements, c’est bien le blanc qui domine, et non le noir.

Il est aussi la couleur du « tapa » simple de mûrier, celui qu’on portait au jour le jour mais qui, en bandelettes blanches, avait aussi de nombreux usages « tapu. »

Il servait à marquer les lieux et passages « tapu », il servait d’emblème aux messagers, les cases mortuaires en étaient tapissées en signe de deuil.

En bref, le blanc était la couleur de la mort et des dieux. La mort et Dieu, n’est-ce pas l’essentiel de ce qui est encore sacré ou « tapu » de nos jours ?

 

4) - Pour renforcer l’image marquisienne de ce drapeau, Mgr Le Cléac’h a souhaité y faire apparaître une des figures emblématiques du pays, le dieu Tiki. C’est au centre du triangle blanc que trône sa face stylisée aussi noire que l’encre du tatouage dont, avec la sculpture, la mythologie explique qu’il est le créateur et, donc, le dieu tutélaire.

Lisons la légende que le Père Gracia a recueillie à Taiohae vers 1839.

« Issue de la dix-huitième génération d’ancêtres de la deuxième souche initiée par Atea et Atanua, arrivent Tiki et sa femme Kahuone, suivis de leur fils Tikitapu et de leur fille Hinaua. C’est le célèbre ancêtre qui initia l’usage du tatouage et l’art de la sculpture sur lesquels il a imprimé son nom ».

En effet, en marquisien, « tatouer » se dit « e patu i te tiki », « écrire Tiki », et « le tatouage », « te patutiki », « l’écriture de Tiki ». Et comme dans le verbe « patu », il y a avant tout l’idée de « frappe » et de « percussion », on comprend mieux comment, par le truchement des motifs qu’on peut aussi dessiner, on s’est mis à utiliser ce mot pour exprimer une activité nouvelle, l’écriture sur papier, inconnue des anciens Marquisiens.

Lors de la conception du drapeau, on a fait appel à divers artistes devant présenter une image simplifiée du tiki marquisien, une « icône » en quelque sorte. Le choix s’est porté sur celle qui a longtemps trôné au centre du triangle blanc, et à laquelle tout le monde est habitué.

Néanmoins, en 2018, Teìki Huukena, maître-tatoueur reconnu de tous, propose à la CODIM, Communauté de Communes des Îles Marquises, un nouveau « matatiki », le visage de Tiki que l’on peut voir sur la photo. C'est le vendredi 15 mars 2019 que parait au Journal Officiel la décision de la CODIM de faire apparaitre ce nouveau « matatiki » sur le pavillon des îles Marquises.

Avec une Académie marquisienne, un hymne déjà célèbre, « To te Henua ènana, a tū ! », un drapeau arborant son nouveau Tiki, symbole d’une ère nouvelle, il manque encore à la Terre des Hommes une devise qui pourrait être « Un Seul Pays, Un Seul Peuple, Une Seule Langue », « E Tahi Henua/Fenua, E Tahi Huaa, E Tahi Èo. Huiii, Huiii, Huuiiiaaa !!! ». Et cela formerait un nouvel et puissant « Hono » qu'on pourrait crier aux occasions importantes…


Rédigé par Jacques Iakopo Pelleau en 2016 ; mis à jour en 2019 et 2021.
Graphique académique appliquée le 05/08/2022

 

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