Un étranger qui veut apprendre le marquisien se trouve souvent confronté à des difficultés lorsqu’il veut appliquer et traduire les concepts ou les structures de sa propre langue.
§ - Les notions de possibilité/impossibilité et de permission/interdiction en font partie. Même si sa langue comporte des constructions parfois élaborées, le Marquisien moderne opte souvent pour la simplification.
*- Au sein d’un groupe, avant de partir, on ne demande pas l’autorisation de partir, on dit seulement « J’y vais », « E hee au ! » ; la plupart du temps, on part sans rien dire…
§ - De même, concernant la possibilité/capacité physique. On ne demande pas à quelqu’un s’il peut porter telle ou telle charge, on lui dit simplement « Tu portes ? », « E kave òe ? ».
Dans ces conditions, la présentation de structures plus élaborées pourrait paraître superflue. Néanmoins, dans la perspective d’une meilleure compréhension de la langue, il parait intéressant d’en exposer quelques-unes.
A) - Comment traduire la locution verbale pouvoir faire quelque chose en marquisien ?
1) - S’agissant d’une capacité physique : pouvoir faire, être capable de faire
a) - En français, le verbe pouvoir est toujours suivi d’un autre verbe à l’infinitif qui est son complément direct ; on peut aller et venir, on ne peut pas monter ou descendre.
Son équivalent en marquisien est le verbe koàka/koàna. La difficulté réside en ce que ce verbe a une structure impersonnelle : pouvoir = être possible.
*- Pour signifier que Teve peut vous conduire à Terre Déserte, on dira mot à mot et littéralement : « C’est possible à Teve le conduire à moi à Terre Déserte », « E koàka ia Teve te kave atu ia ù i Nuku Ataha. » À la forme négative, cela donne « Aê koàka ia Teve te kave atu ia ù i Nuku Ataha. »
*- Pour dire que rien n'est impossible à Dieu, Saint Marc écrit dans son évangile (10, 27) « Aòè he mea, aòè e koàka i te Etua ».
b) - En français, cette notion de possibilité est aussi exprimée par les suffixes –able et –ible.
*- Mangeable caractérise ce qui peut se manger. « C’est mangeable » se dira donc « E koàka te kai » (Certains disent « E koàka i te kai »)
*- Lisible caractérise ce qu’on peut lire. « Ce n’est pas lisible » se dira donc « Aê koàka te tatau/tetau ».
*- Certains se souviendront qu’il y a quelque temps encore, pour « Oui » ou « Pourquoi pas ? », il était très « tendance » de dire « On peut », « E koàka ».
2) - S’agissant d’exprimer la permission, l’autorisation
a) - Le mot-racine meitaì, (être bien, être bon ; le bien opposé au mal) est la structure la plus simple et la plus courante.
*- Pour demander une permission, on dira « Est-ce bien si je fais cela ? ». Par exemple « Puis-je venir demain? » se dira « Mea meitaì ia tihe mai au oìoì ? ».
b) - Il existe aussi d’autres verbes signifiant autoriser, permettre.
§ - Le mot-racine haatià dont le sens premier est de faire confiance à quelqu’un. C’est la raison pour laquelle il traduit aussi l’idée de croyance, foi religieuse, religion. Il s’utilise fréquemment au passif pour signifier qu’on a permis ou interdit telle ou telle action.
*- On dira alors « U haatiàìa », « On a permis, c’est autorisé, c’est permis » ou bien « Aòè i haatiàìa » « On n’a pas permis, ce n’est pas autorisé, ce n’est pas permis ».
*- À la page 19 du Mou Pona Tekao de l’Académie marquisienne, on trouve aussi : autorisation parentale, haatiàìa/haatiàtina motua kui ; autorisation de détention d’armes, haatiàìa/haatiàtina kave puhi. Mais le permis de conduire un véhicule ou une embarcation se dit hāmani haakoi pāririuì/poti.
§ - Le mot-racine ao qui, parmi ses multiples acceptions, possède le consentement, le fait d’accéder aux désirs de quelqu’un ; on n’est pas très loin de l’idée de laisser faire.
*- Pour signifier que Nuka a autorisé la vente de sa maison, on dira « Ua ao Nuka a hokoìa atu to īa haè ». Pour signifier le contraire on dira « Aòè Nuka i ao a hokoìa to īa haè. »
B) - Pour traduire l’interdiction, d’autres formes sont aussi utilisées.
1) - Les particules prohibitives aua et umoì qui, placées en début de phrase, interdisent de réaliser l’action qui les suit ; on les traduit par « Il ne faut pas… », « On ne doit pas… ».
*- Le cinquième commandement (dans la Bible) interdit de tuer, « Aua òe e haamate i te ènana ! ».
2) - Le célébrissime mot-racine tapu (être interdit), permet lui aussi de concentrer l’interdiction, surtout sur les panneaux. « Interdiction de fumer » se dira « Tapu te puhi i te maimai ».
*- À partir de la racine tapu, on a forgé le verbe haatapu, rendre « tapu », interdire. Pour signifier que le tatouage a été interdit aux Marquises en 1898, on dira « U haatapuìa te patutiki i te Henua ènana i te èhua 1898.»
C) - Les notions de possibilité/impossibilité peuvent aussi être portées par des structures spécifiques.
*- Le mot-racine imiahia (D. p. 142-I) exprime ce qui est indéfinissable, introuvable ou inexplicable. (Comme une énigme ou un mystère).
*- Le mot ūiahia (D. p. 284-I) qualifie quelque chose de presque impossible à trouver ; les deux sont presque synonymes.
*- L’exclamation « Kikaàki ! » est une interjection exprimant l’impossibilité dans laquelle on se trouve de se remuer ou de changer de place. (Dictionnaire de Mgr Dordillon, page 158-I)
*- Parmi d’autres acceptions, le mot-racine kiko signifie, au figuré, que le sujet « peut, a la faculté de, a la capacité pour, est en état de réaliser telle ou telle action ». (Même référence). En réalité, kiko étant la viande, cette utilisation joue sur la consistance du sujet, sa capacité à finaliser la situation dans laquelle il se trouve. C’est une notion physiologique qui trouve un petit écho dans l’expression française avoir des tripes.
De la sorte, à un ami qui se lance dans une opération hasardeuse, vous pouvez lancer « Mea kiko òe ? », « Tu crois que tu peux ? ». Si ce dernier a confiance en ses capacités, il vous répondra sûrement « E koàka », « On peut »… À moins que l’impassibilité de son visage ne réponde à sa place…
Rédigé par Jacques Iakopo Pelleau en 2015
Mis en conformité avec la graphie académique marquisienne le 23/08/2022.
(À l'exception des mots extraits des dictionnaires anciens pour lesquels la graphie originale a été conservée.)